
Et de trois. Dans la nuit de mardi à mercredi, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture le troisième et dernier texte qui lui était soumis dans cette session extraordinaire de juillet. Projet de loi sanitaire, soutien au pouvoir d’achat et budget rectificatif : les trois sont passés cahin-caha. C’est l’heure d’un premier bilan et les figures de la majorité tiennent les comptes. Qui a perdu des articles de sa loi en cours de route ? La force des ambitieux se mesure là.
A l’approche de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron s’était montré très clair. Chaque ministre devait surveiller le moindre départ d’incendie dans son secteur et arroser tout foyer avant qu’il ne se propage. Désormais réélu à la tête d’une majorité relative, le chef de l’Etat a fixé une nouvelle priorité : que chaque texte de loi passe sans encombre l’épreuve du Parlement.
Les poids lourds savent qu’ils jouent leur avenir devant les députés, et non plus dans leur écosystème ministériel. « Tout le monde consolide ses bases pour éviter d’être battu. Notre quotidien, c’est l’Assemblée », observe un membre du gouvernement reconduit début juillet. Les ministres identifient les élus qui comptent dans les commissions avec lesquelles ils devront travailler, particulièrement en prévision des textes budgétaires examinés à l’automne. « On ne pourra pas se contenter de s’appuyer sur notre bonne étoile », sourit une secrétaire d’Etat.
Un demi-milliard. Quatre petites heures après avoir enregistré l’adoption du projet de loi de finances rectificatif par l’Assemblée, Bruno Le Maire était au micro de la matinale de France inter pour s’en féliciter. « C’est une vraie victoire pour la majorité », a-t-il jugé, citant la revalorisation des retraites, le déplafonnement des heures supplémentaires, une remise de 30 centimes sur le prix du litre d’essence et une « avancée sur le fioul ». Ce dernier point relève en réalité d’un amendement voté contre l’avis du gouvernement.
« Ça la fout mal pour Bruno Le Maire. Entre les compensations que l’Etat devra verser aux collectivités locales et les aides pour le fioul, on dépasse le demi-milliard d’euros », observe un député de la majorité. Au moins le ministre de l’Economie a-t-il évité que l’addition ne s’alourdisse plus encore, en rattrapant in extremis un amendement de hausse des pensions de retraite.
Bruno Le Maire a de quoi être satisfait. Il a endossé un texte de dépenses quand les prochains seront des projets de loi d’économies. « On risque d’attendre longtemps un autre texte “sucré” », relève un conseiller ministériel.
Après avoir défendu le « quoi qu’il en coûte », le numéro 2 du gouvernement doit désormais retrouver le sérieux budgétaire pour séduire l’électorat de droite. « Il y a un vrai sujet de leadership à droite entre Gérald Darmanin, Edouard Philippe et lui », note un cadre de la majorité. Qu’est-ce que la droite ? Une famille politique qui réclame « l’ordre dans les comptes publics et dans la rue », selon la formule du maire du Havre.
L’entourage du ministre du Travail, Olivier Dussopt, note qu’il n’a pas été battu une seule fois pendant l’examen du projet de loi pour le pouvoir d’achat. Faut-il ajouter « lui » ?
En macronie, Bruno Le Maire veut occuper le premier créneau, Gérald Darmanin le second. Mais le ministre de l’Intérieur n’a rien à défendre en ce moment à l’Assemblée nationale. Alors il joue hors de l’Hémicycle sa carte d’une offensive musclée sur les questions de sécurité. « J’assume le rétablissement d’une forme de double peine », a-t-il expliqué sur BFMTV mardi, à propos de la procédure d’expulsion engagée contre un « délinquant étranger » d’abord mis en cause dans l’agression de policiers, avant d’en être blanchi. Comme Le Maire, Darmanin multiplie les rencontres informelles avec les députés de la majorité, du matin au soir. « On parle de la pluie et du beau temps », évacue dans un sourire l’un de ceux qui ont petit-déjeuné au ministère de l’Intérieur.
La gauche de la macronie refuse de regarder passer les ambitions. L’entourage du ministre du Travail, Olivier Dussopt, note qu’il n’a pas été battu une seule fois pendant l’examen du projet de loi pour le pouvoir d’achat. Faut-il ajouter « lui » ? L’ancien député socialiste est persuadé qu’en prenant le temps de débattre, des accords sont possibles avec une partie de la gauche, même s’ils sont plus nombreux avec la droite aujourd’hui, et même s’ils ne sont pas toujours fiables. Ce fut le cas lorsque la majorité crut Les Républicains convaincus de limiter les aides aux départements à une enveloppe de 150 millions d’euros. A l’inverse, les discussions avec le PS sur la déconjugalisation de l’allocation adulte handicapé ont mené à son adoption à l’unanimité.
Chasse silencieuse. Le président de la commission des Lois à l’Assemblée, Sacha Houlié, pointe lui aussi les avancées à gauche, « plus discrètes » : les14 abstentions socialistes lors du vote du projet de loi sanitaire etles 17 sur le projet de loi pour le pouvoir d’achat. Les cadres de la majorité têtes chercheuses à gauche progresseraient, jurent-ils, aussi vite dans leur quête d’alliés que leurs homologues de droite. Mais sans pouvoir le dire. « Le PS est concentré sur le congrès de septembre. Il ne faut pas flinguer Olivier Faure », confie un ex-socialiste, qui attend la création d’un groupe de gauche hors de la Nupes après l’été autour du député David Habib.
Une telle annonce ne manquerait pas d’être utilisée par les têtes de pont de la gauche macroniste. Chacune voudra être reconnue comme celle qui facilite la vie d’Emmanuel Macron. « Il faut que les deux Olivier (Dussopt et Véran), Stéphane Séjourné, Clément Beaune et Gabriel Attal parviennent à s’entendre », renseigne un député à la croisée des chemins.
Jusqu’ici, ces responsables appelés à jouer un rôle important dans le quinquennat évoluent indépendamment les uns des autres. Olivier Dussopt a investi l’Assemblée nationale pour porter le créneau d’une « gauche du réel », qui n’hésite pas à se frotter à des réformes difficiles. Ce mercredi, dans Le Parisien, il a déjà lancé la bataille autour de la réforme de l’assurance-chômage. Ministre du budget, Gabriel Attal devrait arracher à Bruno Le Maire du temps d’exposition médiatique lors de l’examen du projet de loi de finances 2023 à l’automne.
Les autres auront moins de visibilité au Parlement. Porte-parole du gouvernement, Olivier Véran mise sur son rôle de riposte aux oppositions. Stéphane Séjourné consulte à tout-va pour donner naissance à un nouveau parti, successeur de LREM. Clément Beaune compte capitaliser sur son ministère des Transports pour incarner des sujets de la vie quotidienne, du plan national pour le vélo aux grèves dans le secteur aérien. Voilà des combats qui se mèneront loin de l’Assemblée, et loin des oppositions qui peuvent couper les ailes des ambitieux.