
Publié le 28 juil. 2022 à 10:14Mis à jour le 28 juil. 2022 à 15:08
Le chantier des cookies tiers chez Google commence à s’apparenter au modus operandi de l’industrie du bâtiment, tant les délais ne cessent de s’étendre et d’être repoussés. La firme de Mountain View vient de faire savoir qu’elle reportait à la mi-2024 (au plus tôt) la fin des cookies tiers – ces petits fichiers permettant de suivre l’activité des internautes et de cibler efficacement les publicités -, au sein de son navigateur Chrome. Sorti du bois en 2020, Google avait initialement évoqué l’année 2022 pour l’arrêt des cookies tiers, avant de repousser, il y a un an, ce délai à la fin de l’exercice 2023 .
Ces dernières semaines, Google a déployé des versions d’essai de plusieurs interfaces de programmation (API) de Privacy Sandbox ( la suite de solution de Google visant à remplacer les cookies ). Résultat, une flopée d’acteurs (développeurs, adtechs, etc.) les ayant testées « ont indiqué avoir besoin de plus de temps (…) avant la suppression des cookies tiers », note Anthony Chavez, vice-président de Privacy Sandbox, dans un billet de blog .
« Cette annonce de Google n’est pas une surprise, et c’est une bonne chose, au vu des derniers tests qui ne répondent pas aux exigences, même les plus basiques, du marché de la publicité en ligne », note Nicolas Rieul, président de l’Alliance digitale, association comptant plus de 250 membres et dont un groupe de travail mène des tests et participe au projet. « Comptabiliser le nombre d’utilisateurs uniques qui voient une publicité s’avère compliqué, de même que le réglage de la pression publicitaire (le nombre de fois qu’un internaute est exposé à une même publicité, NDLR) ou la mesure de l’efficacité d’une campagne. »
Les adtechs grimpent en Bourse
Suivant cette annonce du géant américain, les valeurs des firmes axées sur la publicité en ligne ont immédiatement bondi mercredi soir. Le français Criteo – qui a pour coeur de métier historique le reciblage publicitaire (« Retargeting »), une activité essentiellement nourrie par les cookiers tiers -, a grimpé de 11,12 % sur la séance, tandis que le poids lourd de l’adtech, The Trade Desk, s’est, lui apprécié, de 9,13 %. Les marchés interprètent ce délai supplémentaire, imposé par Google, comme un gain de temps bienvenu pour les adtechs.
Pourtant, toutes n’applaudissent pas cet énième report. « C’est un scénario inconfortable, car il y a beaucoup d’incertitudes. Nous sommes actuellement dans l’obligation de maintenir deux moteurs : nos solutions fonctionnant sans cookies et celles tournant avec sur Chrome qui pèse près de deux tiers du marché des navigateurs en matière d’audience. Ce qui suppose des investissements financiers, souligne Alain Lévy, président du groupe français Weborama.
« Il y a un niveau d’impréparation très élevé. On a le sentiment que Google réévalue en permanence sa position. Au point que nous sommes aujourd’hui nombreux à nous demander, sur le marché, si l’arrêt des cookies dans Chrome aura bien lieu », fait valoir Alain Lévy. « Au vu des différents enjeux, il ne serait en tout cas pas surprenant que le délai soit à nouveau étendu », estime, de son côté, Nicolas Rieul.
Une dimension concurrentielle
Au-delà des questions purement techniques et technologiques, le tâtonnement de Google sur la Privacy Sandbox s’explique aussi par la dimension très concurrentielle du sujet. La raison ? En rendant caduque une technologie dont lui peut se passer, mais qui est essentielle à de nombreuses adtechs avec qui il est en concurrence sur le marché publicitaire en ligne, Google – déjà ultra-dominant dans ce secteur -, pourrait mécaniquement éjecter de cette industrie une flopée de rivaux. De fait, les différents antitrust surveillent ce dossier comme le lait sur le feu.
Initialement, l’annonce de Google, remontant au début de l’année 2020, intervenait après que deux de ses concurrents sur le marché des navigateurs, Apple et Mozilla, avaient, eux, déjà coupé le robinet des cookies tiers sur Safari et Firefox. Le groupe de Cupertino avait alors fait de la « privacy » l’un de ses chevaux de bataille et grands axes de communication. En bon rival direct, Google ne pouvait rester s’en réagir. Mais sans doute n’imaginait-il pas que ce chantier deviendrait une Arlésienne.