
Cofondatrice en 2021 de l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique (OVSSP), Fiona Texeire est collaboratrice d’élus depuis quatorze ans. Elle s’est mobilisée en faveur du #MeTooPolitique, afin de révolutionner les mentalités et les pratiques d’un milieu encore largement masculin. Entretien.
Quels sont les objectifs de l’OVSSP ?
Nous souhaitons mettre en lumière les violences sexistes et sexuelles qui traversent la vie politique française. Compiler les faits, interpeller l’opinion publique, faire du plaidoyer à destination des partis ou des institutions font partie des missions de notre association. Récemment, c’est nous qui avons transmis un signalement à LR et à LaREM pour des faits présumés de viol visant l’ancien ministre Damien Abad.
Moins d’un an après le #MeTooPolitique, peut-on dire que la situation des femmes dans ce milieu s’est améliorée ?
Aujourd’hui, la première grosse crise du nouveau quinquennat Macron a été marquée par les affaires de violences sexuelles visant Damien Abad, ce qui témoigne bien d’une évolution des mentalités. Nous avons su montrer que ces sujets constituent un problème systémique lié à la vie politique française, un enjeu de santé publique. Et non de simples affaires privées qui relèvent de l’intime.
Par ailleurs, et plus largement, il y a eu un geste fort avec la nomination d’Élisabeth Borne à Matignon. Mais son nouveau gouvernement affiche une parité de façade : les femmes occupent surtout les postes de secrétaires d’État, les hommes les ministères régaliens. À l’Assemblée nationale, la place des femmes n’est guère plus réjouissante malgré l’élection de Yaël Braun-Pivet comme présidente. En effet, le nombre de femmes élues députées recule, passant de 39,5 % à 37,3 %. Une première depuis 1988.
Selon vous, comment expliquer les réticences à affronter les violences sexuelles dans les partis ?
La question est douloureuse dans toutes les familles politiques. Parce que ce sont des lieux où les militants et responsables se côtoient en permanence lors des luttes. Lorsqu’on apprend qu’un proche, ou quelqu’un que l’on admire, est mis en cause pour des faits graves, on se sent forcément mal à l’aise. Le problème, c’est que les partis ne réalisent pas d’enquête de victimation sur les violences sexuelles et sexistes. Aucune statistique officielle n’existe, ce qui favorise un traitement des dossiers à géométrie variable. Il faut établir des règles claires.
Y a-t-il eu des failles dans le traitement par la France insoumise des affaires Éric Coquerel et Taha Bouhafs ?
Je ne suis pas adhérente de la FI et ne connais pas son fonctionnement. Mais ces affaires soulignent les limites des cellules d’écoute, même si ces dernières restent très utiles aux victimes. On voit bien cependant que le traitement en interne entretient une forme d’opacité, ce qui peut alimenter les soupçons. Ces sentiments sont d’autant plus présents que les partis politiques restent des lieux où les enjeux de pouvoir sont très forts.
Comment s’assurer que les cellules d’alerte des formations politiques ne soient pas prises dans des conflits de loyauté ?
Les pouvoirs de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique pourraient être élargis aux violences sexistes et sexuelles. Cette autorité administrative pourrait être intelligemment renforcée, pour rappeler la loi, fixer un cadre, aborder ces situations et accompagner les victimes, notamment si elles souhaitent porter plainte.
Guillaume T., qui est à l’origine du #MeTooGay, a accusé l’élu communiste Maxime Cochard de violences sexuelles avant de se donner la mort en 2021. Ce cas suscite des remous au PCF, où une instance interne a récemment recommandé la réintégration de l’élu au motif que la procédure a été classée sans suite. Est-ce un argument suffisant ?
Je n’ai pas à me prononcer sur le fonctionnement interne du PCF. En revanche, je peux dire que la justice classe sans suite la majorité des plaintes pour violences sexuelles, faute d’éléments suffisants pour caractériser le délit ou le crime. En France, 99,4 % des viols restent impunis. Lorsqu’un procureur décide le classement d’une procédure, ça ne signifie pas que le mis en cause est acquitté, mais que la justice n’a pas assez d’éléments pour se prononcer. La réintégration ou non de cet élu est avant tout un choix politique. Pour moi, la bonne question à se poser est : quelle sera l’influence de cette décision sur la parole des victimes de violences sexuelles et des lanceurs d’alerte ?
Que répondez-vous à ceux qui accusent les féministes de bafouer la présomption d’innocence ?
C’est un principe de droit important auquel nous sommes extrêmement attachés. Nous agissons évidemment dans le respect du droit. Précisons que la présomption d’innocence est une règle qui n’existe que dans la sphère de l’enquête pénale. Et que ce principe de droit n’est pas plus important que la liberté d’expression, elle-même encadrée précisément par la loi. Donc, parler de ce qu’on a subi, écouter et relayer la parole des victimes, ce n’est pas remettre en cause la présomption d’innocence. Il y a d’autres principes juridiques auxquels nous sommes attachés : le Code du travail, qui impose à tous les employeurs d’assurer la santé et la sécurité des salariés. Et le Code de procédure pénale, qui prévoit que toute autorité – notamment les élus – ayant connaissance d’un crime ou d’un délit est tenue de saisir le procureur de la République.
Quelles sont vos propositions pour lutter contre les violences machistes à l’Assemblée ?
Commençons par la mise en place d’une formation obligatoire à destination de tous les députés, collaborateurs et fonctionnaires. Nous demandons aussi un engagement des membres du bureau à lever l’immunité parlementaire d’un élu visé par une plainte pour violences sexuelles. Nous souhaitons de réelles enquêtes de victimation pour mesurer le problème et enfin avoir des réponses à la hauteur. Il faut que les femmes puissent s’investir en politique sans craindre d’être victimes de violences machistes. C’est un enjeu démocratique majeur.