Cuba, une relation tumultueuse avec le dollar

Quand il descendait à l’hôtel Sevilla de La Havane pour y organiser son trafic d’alcool, Al Capone réservait tout un étage. Il remerciait tous les employés à son service avec un billet de 100 dollars, une fortune pour chacun d’eux, selon les « Lettres de Cuba ».

Dans l’entre-deux-guerres, Cuba était devenu le casino de la pègre américano-italienne et un pourvoyeur de rhum de contrebande lors de la prohibition aux Etats-Unis. Le dollar était la monnaie des gangsters et de la corruption généralisée de Cuba, qui restait dans sa sphère d’influence monétaire, même après son indépendance en 1902. Le dollar fut la monnaie cubaine de 1899 jusqu’en 1951, à côté du peso cubain, créé en 1881 et déjà lié au dollar à un taux de change de 1 pour 1. Mais la devise cubaine était surtout une unité de compte à ses débuts, les premières pièces, similaires dans leur forme au dollar, n’étant créées qu’en 1915.

Zone rouble

En 1960, le rapprochement avec l’Union soviétique amena Cuba à intégrer « la zone rouble ». Le peso fut arrimé à la monnaie soviétique au taux fixe de 1 pour 1. L’île connut alors une période de trente ans de stabilité monétaire et de croissance. En 1985, le retour du dollar fut toléré, et six ans plus tard, il fit un retour triomphal lors de l’effondrement de l’URSS. Le peso cubain, désormais sans intérêt, s’effondra. Cuba avait besoin du billet vert pour acheter son pétrole et ses denrées alimentaires. Le dollar redevint alors la monnaie de l’île, de 1993 jusqu’en 2004.

Dans un discours en uniforme à la télévision d’Etat, Fidel Castro , soixante-dix-huit ans, annonça à regret : « L’empire (les Etats-Unis) est déterminé à nous créer plus de difficultés. » Il faisait allusion aux nouvelles sanctions de l’administration Bush. Elles mettaient Cuba au ban de la finance mondiale et de sa monnaie, le dollar. En novembre, le billet vert fut interdit comme monnaie dans les commerces de l’île. Les détenteurs de billets devaient les convertir en pesos et acquitter, en plus, une taxe de 10 %. Fidel Castro encouragea la diaspora cubaine de l’étranger à envoyer désormais des euros et des livres sterling et non plus des dollars à leur famille restée à Cuba.

Pénuries

Aujourd’hui, le dollar n’est plus la devise officielle, c’est le peso cubain. Mais il conserve des avantages incomparables, comme sa stabilité. Sans lui, il est en outre impossible de se procurer toute une série de produits de consommation , comme la farine, le café, la viande, le shampoing, ou encore les vêtements, vendus dans les magasins d’Etat. Ils ne peuvent y être payés qu’avec la devise numérique du pays, le « MLC » (Moneda Libremente Convertible) et qui vaut, de manière fixe, un dollar. Les Cubains chargent leur carte électronique en dollars pour obtenir des MLC. Sur le marché noir, en théorie fortement réprimé mais toléré dans la pratique, les devises étrangères sont disponibles, mais à des taux de change prohibitifs. Le salaire mensuel moyen équivaut à 32,50 dollars et le SMIC cubain à 17,5 dollars.

Diversification hors du dollar

Devise de luxe dans la vie quotidienne, le dollar est de nouveau persona non grata dans les banques cubaines depuis l’été dernier. Elles n’acceptent plus les nouveaux dépôts en dollars depuis près d’un an. Le gouvernement estime que les sanctions décidées par Donald Trump et très légèrement assouplies par Joe Biden limitent ses possibilités d’utiliser ses dollars dans son commerce avec l’étranger. Le pays ne peut pas recourir au peso qui n’est pas convertible hors de ses frontières. Il peut régler ses factures dans des devises comme l’euro, la livre sterling ou le renminbi.

Ses principaux fournisseurs de denrées sont le Venezuela, la Chine, l’Espagne, l’Argentine et le Mexique. Il doit donc trouver des monnaies de règlement acceptées par ces pays. Cuba exporte au Canada et en Chine et peut récupérer en paiements des dollars canadiens et des renminbis. La diversification de ses réserves financières permet aussi à Cuba d’être moins vulnérable aux sanctions américaines. Mais sa population continue de voir dans le dollar l’accès à un eldorado, qui la sortirait de la crise et des pénuries.