
Emmanuel Macron a un tempérament optimiste et des analyses pessimistes. Ce n’est pas la moindre de ses contradictions. Depuis le début de son quinquennat, il ne cesse de rappeler aux Français le tragique de l’Histoire, l’inévitabilité des crises, les fractures et les désordres du monde. Le 19 août, à Bormes-les-Mimosas, pour célébrer le débarquement de Provence, le 15 août 1944, il emprunte ce registre avec des mots destinés à gifler les endormis : « cataclysmes », « dévastateurs », « terrible » désignent à la fois les flots et les flammes de la folie climatique et le fer des dérèglements humains. Avec la guerre au bout du chemin. « Je pense à notre peuple, auquel il faudra de la force d’âme pour regarder en face le temps qui vient […] accepter de payer le prix de notre liberté et de nos valeurs », affirme le chef de l’Etat.
« Le temps qui vient » n’est pas celui d’une rentrée difficile, mais de l’entrée durable dans un univers hostile, marqué par une énergie de plus en plus coûteuse, une nature de plus en plus brutale, des armes de plus en plus menaçantes. Le langage de vérité est une ardente obligation pour les gouvernants. La situation politique actuelle ajoute une interrogation : le président s’appuierait-il sur les risques extérieurs pour minimiser sa relative impuissance interne et justifier une forme de résignation à la donne post-législative ?
Prisonnier. Pour ses proches et ses soutiens, le chef de l’Etat demeure une énigme que le silence de ses vacances et sa solitude renforcée rendent encore plus indéchiffrable et lointaine. Macron II n’a pas trouvé la martingale – existe-t-elle ? – il semble prisonnier d’un monde dont il ne maîtrise plus les manettes. « Quelle place dans l’Histoire laissera-t-il ? s’interroge un pilier de la majorité, Il sera reconnu pour les conditions de son élection, le saut qualitatif qu’il a imprimé à l’Europeet la remise sur les rails de l’économie. Mais il n’a pas réussi la transformation du pays, la revitalisation démocratique et la manière de faire de la politique. »
C’étaient les ambitions du macronisme. Emmanuel Macron n’en a plus les moyens. Les codes changent. Les compagnons historiques ne sont plus en fonction, même si un Richard Ferrand continue à s’entretenir régulièrement avec le Président. A l’Assemblée, redevenue un lieu de pouvoir, deux femmes jouent un rôle essentiel : sa présidente, Yaël Braun Pivet, et celle du groupe Renaissance, Aurore Bergé. Le chef de l’Etat ne les apprécie pas particulièrement ; et réciproquement. Elles font partie de la cohorte des députés qui s’estiment mal traités, malgré les services rendus.
Le lien d’Emmanuel Macron avec sa majorité – déjà complexe sous le premier quinquennat – se distend. Des sujets microscopiques deviennent irritants. Que le Président ait commencé ses vacances une semaine avant ces élus de la Nation a choqué ces derniers. Pourtant, les escapades en canoë ou en jet-ski ne l’empêchent pas de travailler.
La transformation – raison d’être du macronisme – risque de s’enliser dans l’art du compromis. Le dépassement – autre marque de fabrique – devient un horizon en voie d’être dépassé
Emmanuel Macron déteste la dissidence, le désordre, le bordel. Il est fait pour exercer pleinement les pouvoirs de la Ve république. Le voilà condamné au cabotage sur les rives du possible : peut-être une adoption du budget par 49.3, une réforme de l’assurance-chômage qui ne chagrinerait pas trop les syndicats et une réforme des retraites passant par un allongement de la durée de cotisation, comme celle de François Hollande en 2013.
La multiplication des concertations annonce cette pente. Elle est prévue pour les deux chantiers précités, mais aussi pour la loi pour accélérer les énergies renouvelables,un plan d’adaptation au changement climatique, la protection du grand âge. Le Conseil national de la refondation sera lancé le 8 septembre avec deux morceaux de choix, la santé et l’éducation. Cette nouvelle méthode était prévue avant la présidentielle, elle se complique par le résultat des législatives : il ne s’agit plus seulement de tenir compte de la société civile, mais aussi de négocier avec la société politique.
Oripeaux. La transformation – raison d’être du macronisme – risque de s’enliser dans l’art du compromis. Le dépassement – autre marque de fabrique – devient un horizon en voie d’être dépassé. L’idée que des gens venus de la droite et de la gauche trouvent un logiciel commun pour le bien du pays, en laissant leurs oripeaux au vestiaire fait long feu. Les coureurs de 2027 les plus évidents à ce stade, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Edouard Philippe font pencher la barque à droite. Au nom du rapport de force, ces transfuges de la droite ne voient pas la nécessité de draguer la partie social-démocrate de la Nupes.
Au contraire des tenants de la macronie de gauche. Auteur d’une tribune publiée par Le Journal du dimanche du 21 août, Olivier Dussopt, ministre du Travail et président de Territoires de progrès (aile gauche de la majorité) lance un appel aux sociaux-démocrates de tous bords à se parler, à s’unir, peu importe la forme. Il vise à la fois ceux du parti socialiste, mais aussi du PRG (Parti radical de gauche), de l’écologie politique, de Renaissance, etc.
Chacun se défend de tomber du côté qu’il penche. Dans une interview à Sud-Ouest, Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de Souveraineté industrielle et numérique, affirme : « Depuis cinq ans, nous avons un seul et même fil directeur, le travail. Du travail pour tous et du travail bien payé. Je ne sais pas si c’est de droite ou de gauche. Je sais que c’est juste. » Emmanuel Macron lui-même favorise le virage à tribord du bateau macronien. Il est persuadé – non sans raisons – que l’opinion regarde de ce côté et il s’investit peu dans la structuration d’une force centrale.
« Mobilisation générale ». Cette maison commune ne se construit pas vraiment et le Président regarde ailleurs, à l’est, porteur des nouvelles tourmentes. Le premier quinquennat a été perturbé par les crises, Gilets jaunes, Covid-19, guerre en Ukraine. Emmanuel Macron a théorisé que le second le serait aussi.
Réélu, le 13 juin, il parle d’« économie de guerre » : elle concerne la défense, mais aussi l’énergie, l’alimentaire, les pénuries de composants pour l’industrie.Un mois plus tard, le 13 juillet, son traditionnel discours à la veille du défilé sur les Champs-Elysée est remarqué par les observateurs comme le plus abouti depuis le début du quinquennat : il annonce une nouvelle loi de programmation militaire jusqu’en 2030, et réitère son engagement pour une « économie de guerre. »
Le lendemain, lors de l’interview du 14-Juillet, il développe le concept de « mobilisation générale » appliqué à la bataille énergétique : Etat, entreprises, citoyen doivent faire le nécessaire pour éviter les coupures de courant et de chauffage l’hiver prochain. Le 19 août à Bormes-les-Mimosas, après s’être entretenu avec Vladimir Poutine, Emmanuel Macron l’affirme : les démons du passé sont ressortis de leur boîte. Le second quinquennat sera guerrier ou ne sera pas. Pour l’heure, les oppositions n’ont pas réagi : vont-elles le prendre au sérieux ou dénoncer une opération de diversion ?