Inflation : la BCE condamnée à avoir la main lourde

Quand, en juillet, la Banque centrale européenne avait augmenté d’un coup ses taux directeurs de 50 points de base (pb), elle avait marqué les esprits. Il s’agissait d’envoyer un signal fort sur sa détermination à combattre une inflation galopante. Un mois plus tard, elle se retrouve à nouveau dos au mur. Le chiffre de la hausse des prix pour août, publié ce mercredi par Eurostat, a battu un nouveau record en zone euro . Il atteint 9,1 % contre 8,9 % en juillet.

Phénomène inquiétant, l’impact direct des prix de l’énergie – s’il reste très élevé – a plutôt eu tendance à diminuer légèrement. A l’inverse, les prix alimentaires ont progressé de 10,6 %, ceux des biens industriels de 5 % et ceux des services de 3,8 %. Un signe supplémentaire que la hausse de coûts de production commence à passer dans l’économie.

A Francfort, en juillet, Christine Lagarde avait laissé entendre qu’une nouvelle hausse de 50 pb pourrait intervenir le 8 septembre, en fonction de l’évolution de l’inflation. Pour les marchés, le conditionnel n’est plus de mise. Ils tablent désormais sur une hausse de 75 pb. « Nous avant changé notre prévision pour septembre et nous nous attendons à un relèvement de trois quarts de point. Cela se jouera à peu de choses, mais la hausse surprise de l’inflation en août fait pencher la balance », écrivent les analystes de Bank of America, rejoignant ceux de Goldman Sachs, JP Morgan ou AXA IM.

Accélération

La BCE mettrait ainsi ses pas dans ceux de la Réserve fédérale, qui a opté pour une hausse de cette ampleur en juin et en juillet dernier. De ce côté-ci de l’Atlantique, un tel relèvement est rarissime. « La BCE avait procédé à une hausse « technique » de 75 pb en 1999, pour favoriser la mise en oeuvre du marché monétaire intégré, mais entre 2000 et juillet 2020, aucune hausse n’avait dépassé les 25 pb », rappelle Frederik Ducrozet chez Pictet.

Pas de quoi effrayer semble-t-il, les banquiers centraux qui prendront part au Conseil des gouverneurs la semaine prochaine. Face à l’inflation, la plupart d’entre eux appellent à sortir l’artillerie lourde. Samedi dernier, à Jackson Hole , l’Allemande Isabel Schnabel a averti que des « sacrifices » devraient être faits , la lutte contre la hausse des prix devant être menée « même au risque d’une croissance plus faible et d’un chômage plus élevé ».

Depuis plusieurs autres voix de la BCE ont appelé à une accélération du rythme de hausse, notamment l’influent gouverneur de la Bundesbank, Joachim Nagel. « Nous avons besoin d’une forte hausse des taux d’intérêt en septembre. Et d’autres hausses sont à prévoir dans les mois qui suivent », a-t-il martelé. Un consensus commence à se dégager sur le fait qu’il faudra sûrement dépasser le niveau des taux neutres (ceux qui ne stimulent ni ne ralentissent l’économie) pour contrer l’inflation.

Crédibilité

Pour la BCE, il s’agit avant tout d’une question de crédibilité. Elle a assuré qu’elle allait désormais prendre en compte, de façon souple, les données économiques pour décider de l’évolution de sa politique monétaire. Mais la hausse des taux risque de lui créer d’autres problèmes. A commencer par son effet sur l’ensemble de la zone.

Ainsi, l’inflation en août n’était « que » de 6,5 % en France , contre 8,8 % en Allemagne et plus de 20 % dans les pays baltes. « L’hétérogénéité de l’inflation entre les pays de la zone euro est devenue impossible à gérer. L’efficacité d’une politique monétaire « la même pour tous » est clairement une illusion dans ces conditions », estime Eric Dor, directeur des études économiques à l’Ieseg.

Une hausse des taux plus forte et plus rapide qu’attendu va également avoir des répercussions immédiates sur le rendement des emprunts d’Etat européens. « La hausse de l’inflation et la dynamique de la BCE nous incitent à réviser nos prévisions de taux. Nous pensons que celui des obligations allemandes à 10 ans atteindra ou dépassera 1,6 % dans les semaines à venir », souligne Bank of America. Début août, il évoluait autour de 0,8 %.

Récession

La question la plus importante pour l’avenir reste celle de savoir jusqu’à quel point la banque centrale est prête à vivre avec une récession. « Etant donné que l’économie ralentit rapidement – et se contracte peut-être déjà à ce stade – on peut se demander comment la BCE réagira, après une hausse de 75 points de base en septembre, si les signes de détresse économique deviennent plus apparents », interroge ING.