
« J’ai encore du mal à y croire », confie Anastasiia Lapatina, journaliste ukrainienne du Kyiv Independent, au sujet de sa célébrité nouvellement acquise. A 20 ans, même le « New York Times » lui a ouvert ses colonnes . La raison d’une telle ascension ? A la faveur de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le média avec lequel collabore la jeune femme est passé en moins d’un an du statut de start-up à celui de référence.
Une vingtaine de journalistes
Depuis le début de la guerre il y a six mois, le Kyiv Independent est sur tous les fronts : sa rédaction d’une vingtaine de journalistes se mobilise pour couvrir l’évolution du conflit au jour le jour, analyser l’impact économique de la guerre, enquêter sur les crimes de guerre russes ou encore, plus récemment, sur la corruption au sein d’une unité de l’armée ukrainienne. Son audience ne cesse de croître.
Qualifié de « révolution » par son équipe éditoriale, le Kyiv Independent a été créé en novembre 2021 par des anciens journalistes du « Kyiv Post », alors seul média anglophone d’Ukraine, à la suite de leur licenciement collectif et sans préavis par le propriétaire, Adnan Kivan : trois semaines auparavant, le magnat de l’immobilier avait soudainement annoncé une réorganisation brutale.
1,6 million de livres
Confronté à une fronde, Adnan Kivan avait annoncé la fermeture « pour une courte période » de l’influent hebdomadaire, et licencié toute l’équipe éditoriale. « Le Kyiv Post a été tué », déclarait, lapidaire, Anastasiia Lapatina sur Twitter le 8 novembre.
Trois jours après, le Kyiv Independent voyait le jour sous la houlette d’Olga Roudenko, une ancienne du « Kyiv Post ». Pendant six semaines, la nouvelle équipe ne s’est versé aucun salaire. « Notre média est gratuit, et fonctionne grâce aux contributions de nos lecteurs », confirme Anastasiia Lapatina. Une levée de fonds lancée sur le site GoFundMe a permis de rassembler jusqu’à présent plus de 1,6 million de livres (1,9 million d’euros).
Plus de 2 millions d’abonnés sur Twitter
Dès le début de l’invasion, la popularité du Kyiv Independent a explosé : en l’espace de trois jours seulement, le compte Twitter est passé d’environ 30.000 abonnés à plus d’un million. Il en compte plus de 2 millions aujourd’hui. Son canal sur le réseau social Telegram est, lui, suivi par plus de 50.000 personnes. Signe de l’aura de cette rédaction, l’ancien président américain Barack Obama a inclus le Kyiv Independent dans une liste d’organisations nécessitant selon lui d’être soutenues financièrement.
La proximité de l’équipe éditoriale avec les événements se déroulant dans leur propre pays est également difficile à gérer, explique Anna Myroniouk, journaliste d’investigation dont la famille se trouvait à Boutcha durant les premières semaines de l’invasion.« Ma mère et ma grand-mère ont été bloquées pendant deux semaines dans la cave, sans chauffage. Et tout en travaillant, j’essayais de les évacuer », se souvient-elle.
« Un travail nécessaire »
La mère d’Anastasiia Lapatina, elle, n’a été évacuée qu’à la mi-mars d’Irpin, ville de la banlieue de Kiev assiégée durant les premières semaines de la guerre. « C’est épuisant de se confronter en permanence à cette violence, à ces traumatismes, souffle Anastasiia Lapatina, qui anime désormais le podcast du Kyiv Independent. Mais c’est un travail nécessaire. »