
Alors que leur marché promettait de doubler de taille sur la décennie en cours, de nombreux fabricants de semi-conducteurs vont devoir faire le dos rond dans les prochains mois. A l’image du numéro un mondial taïwanais TSMC, du sud-coréen Samsung, du chinois SMIC et de l’américain Intel, les champions du secteur ont profité de leurs publications financières estivales pour alerter les investisseurs sur la détérioration de leur carnet de commandes à une période de l’année traditionnellement très porteuse.
Par conséquent, les analystes ont revu leurs chiffres. D’après Gartner, les revenus mondiaux du secteur ne progresseront que de 7,4 % en 2022 – à 639 milliards de dollars – contre une augmentation de 13,6 % anticipée jusqu’ici. Pis, le cabinet d’étude de marché envisage une décroissance de 2,5 % en 2023.
Inflation et réduction des stocks
L’explication est macro-économique. « Une grande partie de la faiblesse actuelle du marché des circuits intégrés est due aux préoccupations économiques causées par la hausse de l’inflation, les perturbations continues de la chaîne d’approvisionnement et les efforts des fournisseurs et des équipementiers pour réduire les niveaux de stocks », écrivait début août dans une note le cabinet spécialisé IC Insights.
L’ambiance tranche avec l’euphorie qui avait suivi les premiers confinements liés à l’épidémie de Covid-19 et qui perdurait jusque-là, laissant penser que ce secteur traditionnellement très cyclique était parti pour un supercycle de dix ans de croissance. Alors que toute l’économie mondiale redémarrait au même moment, la pénurie de puces électroniques avait ralenti, voire paralysé, de nombreuses industries dont les produits – des voitures aux micro-ondes – ne peuvent plus se passer de ces minuscules composants.
Un trop-plein de puces pour smartphones et PC
Aujourd’hui, les pénuries restent d’actualité pour certaines catégories de puces. Mais pour d’autres, c’est le trop-plein.
Avec les marchés du PC et du smartphone appelés à respectivement décliner de 9,5 % et 7,1 % en 2022 d’après Gartner, les vendeurs de puces destinées à l’informatique grand public souffrent davantage. Le marché des processeurs, antennes et autres capteurs pour mobiles ne devraient croître que de 3,1 % cette année tandis que celui des semi-conducteurs pour PC déclinera de 5,4 %. Les spécialistes des processeurs pour PC, Intel et AMD, viennent tous deux de réduire leurs prévisions de revenu annuel sur ce segment.
Très sensible à l’évolution de la demande, le prix des puces mémoire destinées au stockage de données est en baisse d’après le cabinet TrendForce qui anticipe pour la première fois de l’histoire une croissance inférieure à 10 % pour les mémoires DRAM, les plus courantes. En revanche, Gartner voit les puces destinées aux serveurs informatiques continuer de profiter des investissements incessants dans les centres de données, pour une croissance de 20 % en 2022.
Excès de demande dans l’automobile
Dans le monde automobile, la demande excède encore largement l’offre, indiquent les fabricants de puces destinées aux batteries électriques et aux tableaux de bord, du franco-italien STMicroelectronics à Infineon ou NXP. Les perspectives sont bonnes pour la valeur des semi-conducteurs dans une voiture qui doit passer de 712 à 931 dollars entre 2022 et 2025, d’après Gartner. Mais même ce marché semble fragile.
La semaine dernière, l’américain Micron a ainsi revu à la baisse son objectif de recettes pour le trimestre en cours et s’est justifié en évoquant des ajustements de commandes au-delà de l’électronique grand public. « Micron est la première entreprise à mentionner une faiblesse sur les marchés finaux industriels et automobiles et nous notons que Micron a été un indicateur avancé du retournement toute l’année », souligne Christopher Danely, l’analyste de Citigroup.
La pertinence des milliards de dollars d’investissement
Ce pessimisme pose des questions quant à la pertinence des dizaines de milliards de dollars que les fabricants de semi-conducteurs prévoient d’investir dans les prochaines années, avec le fort soutien financier des pouvoirs publics, aux Etats-Unis comme en Europe. Ces derniers voient l’implantation d’une usine de puces sur leur sol comme un acte de souveraineté et ne s’inquiètent pas des risques de surcapacité.
Pour l’instant, les sombres perspectives du marché ne s’annoncent certes que passagères. Comme un symbole, Micron a révisé ses perspectives pour le trimestre en cours tout en annonçant un investissement de 40 milliards de dollars rien qu’aux Etats-Unis.
Malgré ses difficultés, Intel ne renonce pas non plus à ses futures mégafabs à 10 milliards de dollars chacune. « Vous ne construisez pas des usines de ce type pour un ou deux trimestres », a expliqué le patron Pat Gelsinger à Reuters, persuadé qu’il aura besoin de capacités nouvelles pour saisir des opportunités d’ici 2030. Mais certaines sociétés, comme le sud-coréen SK Hynix, font d’ores et déjà savoir qu’ils pourraient décaler dans le temps leurs dépenses.