
Les bourses mondiales ont repris de la vigueur cet été et les tensions sur les taux se sont atténuées. Est-ce que les investisseurs sont dans le déni ?
Les marchés financiers réagissent comme si l’inflation allait rapidement disparaître. Le niveau des swaps d’inflation montre qu’à horizon 2 ans, ils anticipent une hausse des prix à la consommation à 2,5 % aux Etats-Unis et à 2 % en zone euro. Ce scénario est défendable pour les Etats-Unis, même si dans deux ans, on sera encore probablement au-dessus de 2,5 %. Le durcissement de la politique de la Fed est réel et surtout il s’accompagne d’une politique budgétaire véritablement restrictive. Le déficit budgétaire est passé de 12 % du PIB en 2021 à moins de 4 % cette année. Le pouvoir d’achat des ménages baisse de 5 % sur un an. En plus, le dollar est fort. Il y a de la désinflation importée par le taux de change.
Et pour l’Europe ?
Dans le cas de l’Europe, les anticipations de marché ne me semblent pas du tout pertinentes. Les investisseurs se leurrent avec un scénario « Père Noël » où l’inflation va disparaître toute seule sans que la BCE s’en occupe. Or l’ action de la BCE est tout sauf décisive. Si les taux directeurs atteignent 1,5 % en fin d’année, la politique monétaire européenne restera expansionniste. Tous les Etats de la zone euro soutenant le pouvoir d’achat par des transferts publics de toute nature, la politique budgétaire est aussi expansionniste. Le déficit public de la zone euro ne sera pas plus bas cette année que l’année dernière [5,1 % du PIB, ndlr]. En outre, l’euro est faible et les prix des produits importés augmentent de 30 % sur un an dans la zone. Enfin, les salaires progressent à un rythme de 4,5 % annuel et ils devraient encore accélérer. Sans parler de la disparition des gains de productivité depuis début 2020. Toutes les hausses de salaires passent en coûts salariaux.
Qu’implique une telle absence de coordination des politiques monétaire et budgétaire ?
Cette situation rappelle les années 80, après les premiers chocs pétroliers, lorsque la politique budgétaire soutenait le pouvoir d’achat et la politique monétaire essayait de freiner l’inflation. dans ce genre de configuration on n’arrive à juguler l’inflation qu’au prix de déficits considérables et de taux très élevés.
Qu’est ce qui explique cette myopie des marchés sur l’Europe ?
A mon avis, les investisseurs font, à tort, un parallèle avec les Etats-Unis. Très peu d’intervenants de marché prennent en compte la politique budgétaire. Il y a aussi une mauvaise analyse de la récession. D’abord il n’est pas sûr qu’elle survienne en Europe, compte tenu du soutien des Etats. Ensuite, les marchés l’associent à la désinflation. Mais étant liée à la hausse des matières premières, ce serait une récession inflationniste.
Comment les marchés peuvent-ils s’ajuster ?
Il y a deux possibilités. Soit les marchés vont estimer qu’avec une BCE réticente à durcir sa politique monétaire, l’inflation sera durablement plus élevée. Soit ils vont corriger les anticipations de hausse des taux de la BCE. Dans la mesure où l’inflation européenne va passer au-dessus de 9 % en fin d’année, il paraît aberrant que les taux directeurs plafonnent à 1,5 %.
L’inflation sous-jacente est moins importante que cela…
Selon mes calculs, l’inflation endogène de la zone euro se situe tout de même autour de 4,5 % pour 2023. Ce qui correspond à la hausse des salaires en l’absence de gains de productivité. Elle pourrait accélérer car les salariés voudront regagner du pouvoir d’achat et car les entreprises ont de plus en plus de difficultés pour embaucher.
Les pays développés sont-ils en train de passer à un régime économique plus inflationniste ?
Toute la question est de savoir si l’inflation que l’on observe aujourd’hui peut devenir structurelle. Les marchés n’y croient pas mais un certain nombre d’économistes estiment que les pays de l’OCDE sont passés d’un régime d’inflation faible à un régime d’inflation assez forte. En cause : le vieillissement démographique. Un retraité est un consommateur qui ne produit pas, d’où un excès de demande de biens et services dans l’économie. Ensuite, avec les tensions géopolitiques, les pays de l’OCDE ont des volontés d’indépendance stratégique, ce qui pourrait entraîner des relocalisations, par exemple pour les productions de semi-conducteurs. Enfin, la transition énergétique fera monter le prix relatif de l’énergie, car l’intermittence de la production des énergies renouvelables oblige à stocker davantage. S’ajoute le coût d’investissements peu rentables financièrement dans la décarbonation ou la rénovation thermique des bâtiments.