
Où a-t-elle fait mieux? Marine Le Pen a progressé en Outre-mer de 23 points entre le second tour de l’élection présidentielle de 2017 et celui du printemps dernier. Le 24 avril, sur l’ensemble de ces territoires, elle obtenait 58,27% contre 41,73% en faveur d’Emmanuel Macron. Le chef de l’Etat ne la devançait qu’en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna et en Polynésie française – d’un cheveu. Partout ailleurs, les scores récoltés par la candidate du RN sont impressionnants : 60,7% en Guyane, 59,5% à La Réunion, 59,1% à Mayotte, 60,9% en Martinique et même 69,6% en Guadeloupe (soit 45 points de plus qu’en 2017) !
Pour beaucoup dans la classe politique, ce résultat spectaculaire a fait l’effet d’un séisme. Il a un peu plus confirmé une conclusion qui n’en finit plus de s’imposer : entre la métropole et son Outre-mer, qui dénombre 2,8 millions d’habitants, la fracture est désormais très profonde. « En métropole, on n’ouvre les yeux et les oreilles sur les Outre-mer que lorsqu’il y a une catastrophe. De leur côté, les Outre-mer ont tendance à s’enfermer dans l’entre-soi et ne porter en métropole que des discours revendicatifs plutôt que positifs sur leurs atouts, leur histoire », constate Hervé Mariton, ex-ministre de l’Outre-mer (2005-2007), président de la fédération des entreprises des Outre-mer.
Ces dernières années, quasiment tous ces territoires ont traversé de très lourdes crises qui ont tendu leurs liens avec Paris. A la fin de l’an passé, la Guadeloupe et la Martinique ont vécu une crise sociale aiguë sur fond de grande délinquance, notamment sur la première île, « où le grand banditisme a tout gangrené et tout est pourri jusqu’à la moelle », affirme un ministre. En 2019, c’est La Réunion qui avait connu un épisode similaire, après la Guyane en 2017, obligeant à l’époque l’exécutif Hollande à signer un chèque d’un montant vertigineux (trois milliards d’euros). En Nouvelle-Calédonie, la question institutionnelle, rythmée par trois référendums entre 2018 et 2021, ne cesse de crisper les relations entre communautés. Mayotte subit de plein fouet l’immigration clandestine, tout autant que la Guyane (la part de l’immigration représente pour la première 36% de la population totale, et la seconde 45 %)…
Vie chère. Si chaque territoire est spécifique, des phénomènes y sont similaires. Economiquement, le chômage y est très élevé, la cherté de la vie y est le problème numéro un. Politiquement, les partis traditionnels, Les Républicains et le PS, se sont liquéfiés. « Il y a eu une période très RPR, puis une période socialiste, rappelle Dominique Perben, ex-ministre de l’Outre-mer (1993-1995). Aujourd’hui ils ont perdu la main, alors que les grands élus locaux avaient un rôle structurant et étaient de puissants prescripteurs de vote.»
« Cette désagrégation a ouvert des digues. Il n’y a plus de vie politique nationale et, en revanche, une multiplication des micro-partis locaux. L’affaissement des élites a été total », complète un pilier de la macronie, qui elle-même n’a pas réussi à y faire émerger de nouveaux leaders. La crise sanitaire due à la Covid n’a pas arrangé les choses. La vaccination obligatoire y a fait les beaux jours des populistes.
Alors qu’à la présidentielle, Marine Le Pen a montré que l’Outre-mer était désormais pour elle un puissant socle électoral, aux législatives de juin, c’est la Nupes, et particulièrement La France insoumise, qui a tiré son épingle du jeu. En Polynésie, les indépendantistes, soutenus par la coalition mélenchoniste, ont fait le grand chelem. A la Martinique, celle-ci a remporté les quatre sièges en jeu ; à La Réunion, six des sept circonscriptions… Au total, LR ne dispose plus que d’un député sur 27 et la majorité en compte quatre.
Lors de la campagne élyséenne, Emmanuel Macron n’est pas allé en Outre-mer. Un temps, un déplacement à La Réunion a été évoqué, mais il ne s’est jamais concrétisé. « Réussir une visite Outre-mer n’est jamais gagné. Si vous n’en êtes pas sûr, il vaut mieux ne pas la faire, justifiait alors un pilier du dispositif présidentiel. En 2017, Emmanuel Macron avait fait un très bon déplacement en Guadeloupe, mais un très mauvais en Martinique. »
« On a surinvesti les questions institutionnelles. Or le sujet aujourd’hui est celui du développement économique. Les transformations numérique, énergétique, climatique doivent être la priorité »
Son dernier voyage comme Président a, lui, été très réussi : c’était en juillet 2021 en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna. En octobre 2017, le chef de l’Etat s’était rendu en Guyane, en 2018 en Nouvelle-Calédonie et aux Antilles, et en 2019 à La Réunion et Mayotte. Comme ses prédécesseurs, il n’a pas manqué une occasion d’exalter des territoires qui sont un élément déterminant de la puissance française, en lui permettant de revendiquer le deuxième domaine maritime mondial. « Il a beaucoup fait, le défend Dominique Perben qui, sur ce sujet, l’épaule en coulisses. Mais il n’en a tiré aucun bénéfice politique. »
Dans la nouvelle architecture gouvernementale, Emmanuel Macron a fait un choix différent du premier quinquennat. Le ministère de l’Outre-mer n’est plus autonome mais a été placé sous la tutelle de celui de l’Intérieur et de Gérald Darmanin. Epaulé de Jean-François Carenco, ministre délégué, qui est considéré comme un vrai spécialiste, celui-ci se rendra à Mayotte le 20 août. « Il ne va pas traiter ces territoires uniquement à travers le prisme régalien mais en brassant tous les sujets », promet un de ses conseillers.
Vitrine. Mais peut-on encore combler le fossé ? Comment ? Ces dernières décennies, ce sont d’abord les évolutions institutionnelles qui ont été au cœur des discussions. Faut-il continuer ainsi ? « L’autonomie pour les Antilles, pourquoi pas? », s’interrogeait Gérard Larcher, le président du Sénat, au lendemain de la présidentielle, très ébranlé par les résultats. Ex-ministre, Dominique Bussereau plaide plutôt pour un toilettage : « Ces statuts à la carte ont un peu compliqué les choses. Cela a installé des systèmes de double commande. Peut-être faut-il revoir l’ensemble des gouvernances. L’argent supplémentaire qui est déversé ne produit pas les effets attendus. Il y a du potentiel, des ressources partout, mais elles ne sont pas suffisamment exploitées. L’aptitude à la gestion des élus locaux n’est pas toujours adaptée… »
« On a surinvesti les questions institutionnelles, surenchérit Hervé Mariton. Or le sujet aujourd’hui est celui du développement économique, alors que des territoires comme les Antilles ou la Nouvelle-Calédonie voient leur jeunesse partir et que l’économie est encore trop administrée. Les transformations numérique, énergétique, climatique doivent être la priorité. Elles peuvent y être des vitrines pour nous. En raison de la montée du niveau de la mer, le village de Miquelon est en train d’être déplacé. C’est un exemple qui peut servir au monde entier.»