«Quand Cyril Hanouna baisse le pouce, vous êtes mort»

Et si, un jour, un homme gagnait, en France, l’élection présidentielle grâce au rire ? Philippe Moreau-Chevrolet, professeur de communication politique à Sciences Po Paris et dirigeant d’un cabinet de conseil, a donné vie à ce scénario avec le dessinateur Morgan Navarro. Leur BD, Président (Editions Les Arènes, 2020), s’est vendue à 30 000 exemplaires. Elle met en scène l’animateur et producteur de C8 Cyril Hanouna en candidat victorieux à la présidentielle. Philippe Moreau-Chevrolet s’est inspiré de ses passages dans l’émission « Touche pas à mon poste » (TPMP). Mais quelle distance reste-t-il entre la réalité et la fiction ?

Cyril Hanouna reste, pour beaucoup, l’homme qui a glissé des pâtes dans le slip d’un de ses chroniqueurs. Peut-il vraiment envisager une candidature pour 2027 ?

Oui, c’est toujours plausible : Cyril Hanouna est viscéralement un homme de pouvoir. C’est une machine à séduire, exactement comme les hommes politiques. C’est flagrant quand il vous serre la main. D’ailleurs, il est même plus homme politique que clown, c’est un gros bosseur et c’est ce qui le distingue de ses confrères animateurs de télévision.

En tant que « potentiel futur candidat », comment a-t-il regardé, selon vous, l’élection en 2022 ?

Il a très probablement beaucoup observé Eric Zemmour, d’abord parce qu’il voulait absolument animer une émission politique sérieuse, ce qu’il a en partie réussi à faire avec le duel Zemmour-Mélenchon en janvier dernier. Il a pu en tirer l’enseignement suivant : on ne peut pas créer un candidat à la présidentielle juste avec les réseaux sociaux. C’est un avertissement à tous ceux qui voudraient se lancer, comme Eric Zemmour, sans équipe et sans programme. Hanouna pourrait employer les cinq prochaines années à créer un programme et à s’entourer. J’ajoute qu’avec de l’humour, de l’autodérision, de l’empathie, Zemmour aurait pu gagner.

Quel genre de candidat l’animateur télé pourrait-il être ?

Hanouna incarne un syncrétisme. Juif, il défend les musulmans. Et il a été le premier à inviter les Gilets jaunes sur son plateau à un moment où personne ne le faisait. Il rassemble. Les élites parisiennes, qui ne s’y retrouveraient pas, pourraient en revanche le rejeter. Ce qui lui manque, c’est la consistance.

Vous vous êtes rendu une demi-douzaine de fois dans « TPMP » entre 2020 et 2022. Comment Cyril Hanouna se comporte-t-il en plateau ?

Hanouna, en plateau, c’est Dieu. C’est exorbitant, hors du commun. Vous êtes dans l’arène : quand il lève le pouce, les chroniqueurs vont dans votre sens. Quand il le baisse, vous êtes mort. C’est une vraie cour avec son prince et ses courtisans, construite sur un système de vassalité. Ses chroniqueurs vous aiment parce que le chef a dit qu’il fallait vous aimer. Moi, ça m’intéressait de le voir diriger son émission, composer son conducteur en direct, en utilisant tous les débats de la société française.

« Etre le plus caricatural possible capte l’attention : c’est une technique populiste. En ce sens, Hanouna a des similitudes avec Trump. Et ils pratiquent une même forme d’humour malsain, souvent au prix d’une tierce personne »

Vous expliquez en préambule de votre ouvrage que le succès d’un personnage comme Hanouna en politique serait le signe d’un épuisement démocratique. Pourquoi ?

En tant que citoyen, on est fatigué du mépris, de l’inertie et de la répétition des mêmes types de rapports, quand la déception succède à la séduction. On a vu comment cela pouvait fonctionner avec l’humoriste Beppe Grillo en Italie, avec Zelensky en Ukraine. Un clown, ça désacralise la fonction, ça libère la parole : il peut tout dire.

En France, Coluche a joué le rôle du clown. Hanouna est-il le nouveau Coluche ?

Hanouna est moins authentique. Coluche venait du café-théâtre ; Hanouna a été formaté pendant vingt-cinq ans par la télévision française. Coluche nous parlait d’homme à homme ; Hanouna est un clown méchant, cruel, qui peut vous détruire. C’est ce qui fascine. C’est quelqu’un de puissant qui fait rire. L’animateur de C8 utilise les techniques de la télévision et du spectacle : il ne recule pas devant l’outrance. Etre le plus caricatural possible capte l’attention : c’est une technique populiste. En ce sens, il a des similitudes avec Donald Trump : un personnage populiste, ça se construit par des années à la télévision. Être aimé, fédérer des gens, la télévision permet cela. Hanouna et Trump pratiquent une même forme d’humour : un rire malsain, souvent au prix d’une tierce personne, qui crée l’adhésion. Hanouna se voit probablement comme Coluche, mais c’est avant tout un homme d’affaires.

Quelles sont, d’après vous, les valeurs auxquelles tient cette figure emblématique du groupe Canal+ aujourd’hui ?

Je ne sais pas en quoi il croit vraiment, ni ce qu’il veut réaliser pour les autres. Ce qui est certain, c’est qu’il veut être admis dans le cénacle des élites. C’est un fils d’immigrés [tunisiens] qui a le sentiment de ne pas être à la hauteur du pays d’accueil dans lequel il vit. C’est pourquoi il surinvestit la politique. Sa mère lui a d’ailleurs donné Valéry en deuxième prénom, en hommage à Valéry Giscard d’Estaing.

En quoi le rire est-il une arme politique ?

Le rire vous désarme intellectuellement. C’est une synthèse très rapide, qui peut structurer nos pensées et nous impose ses raisonnements.

Certains hommes politiques ont, par le passé, utilisé la puissance du rire…

A son niveau, Jean-Marie Le Pen a utilisé l’ironie pour adoucir ses positions. Il a joué de l’ambiguïté. L’humour, c’est une autre forme « d’en même temps »: c’est un macronisme souriant, finalement. Il permet de relâcher des pulsions. Aux Etats-Unis, quand Donald Trump répétait plusieurs fois de suite « crooked Hillary », « Hillary la tordue » en parlant d’Hillary Clinton, il imprimait la formule dans les esprits. Trump utilise l’humour de manière presque scientifique, à des fins politiques. En Italie, Berlusconi, lui, avait recours à gens qui lui écrivaient des petites blagues souvent sexistes, à la Jean Roucas, des barzellette. C’était presque du stand-up.

Dans votre livre, vous imaginez un Vincent Bolloré (propriétaire de Vivendi, qui contrôle Canal+) qui soutiendrait Cyril Hanouna dans sa candidature à la présidentielle… jusqu’à un certain point. Ce soutien pourrait-il exister dans la réalité ?

Oui, dans le sens où Vincent Bolloré a un désir de revanche sur les élites parisiennes. Quand, en 2015, il a versé 250 millions d’euros à Hanouna pour le garder pendant cinq ans sur D8 (renommée C8 en 2016) , c’était une provocation. Je vois Bolloré comme un punk ou un anarchiste de droite. Il faut imaginer Houellebecq chef d’entreprise.

En quoi les émissions d’Hanouna sont-elles déjà politiques ?

Hanouna ne se moque pas des grands. Mais il a été le premier à aller chercher les Gilets jaunes – je n’ai pas compris d’ailleurs pourquoi. La gauche a perdu culturellement cette classe sociale. Ce n’est certainement pas sur le plateau de Cyril Hanouna que cette rencontre aurait dû avoir lieu. Regardez Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat à l’Economie Sociale et solidaire et chroniqueuse dans « TPMP » : elle fait de l’éducation civique chez Hanouna. C’est là qu’il y a un chemin possible avec la politique.

Dans votre bande dessinée, vous évoquez l’élection de Cyril Hanouna comme un cauchemar. Pourquoi ?

Parce que nous en faisons le symbole d’une impasse démocratique : l’électeur va voter pour le clown puissant parce qu’il semble moins dangereux que l’extrême droite.

S’il vous le demandait, deviendriez-vous son communicant ?

Impossible ! Cela demanderait un engagement total. Moi, je suis pour un leader modeste à la Pierre Mendès France. Ma BD est avant tout un avertissement sur les pièges possibles des mécanismes à l’œuvre.