Le censeur, ovni des conseils d’administration

Publié le 7 sept. 2022 à 9:00

Frédéric Oudéa a été nommé, la semaine dernière, au conseil d’administration de Sanofi. Mais pas comme administrateur, comme censeur . L’actuel DG de Société Générale, qui doit quitter ses fonctions en mai 2023, rejoint ainsi le club très fermé de ces personnalités composé, entre autres, de Valérie Pécresse, d’Anne Hidalgo (chez ADP), de Jean-Bernard Lévy (chez Société Générale), ou du photographe Yann Arthus Bertrand (chez LVMH).

Dans le SBF 120, ils sont au total 45 à occuper ce poste, selon la fintech Scalens, alors que les administrateurs sont plus de 1.300. Qu’ont-ils de différent ? « Un censeur, c’est un administrateur sans droit de vote », explique un spécialiste en gouvernance. Il participe au débat, donne son avis. Mais, il n’a ni pouvoir décisionnel ni responsabilité.

Résultat : les investisseurs, comme les agences de conseil en vote, ne les apprécient pas beaucoup. Leur utilité est même parfois remise en cause. « La présence de censeurs au conseil doit rester exceptionnelle et faire l’objet de justifications précises à l’égard des actionnaires préalablement à l’assemblée générale », indique, tous les ans, l’AFG (Association française de la gestion financière) dans son rapport sur le gouvernement d’entreprise.

L’administrateur est défini par la loi française. Pas le censeur. Le code Afep-Medef ne dit rien non plus sur lui. Il n’est ni soumis aux règles de conflits d’intérêts, ni à celles sur l’information privilégiée, qui s’imposent aux administrateurs. Souvent, les tâches qui lui sont confiées ne sont pas détaillées précisément par les entreprises, alors même que les censeurs touchent des jetons de présence.

Un SAS d’entrée au conseil

Dans la pratique, les raisons pour lesquelles un censeur est nommé peuvent par ailleurs être très différentes. Parfois, il s’agit d’un sas d’entrée au conseil en attendant qu’un mandat d’administrateur se libère. C’est le cas de Frédéric Oudéa. Sa nomination comme administrateur sera proposée lors de la prochaine AG de Sanofi, puis, si elle est acceptée, sa candidature comme président non exécutif, en remplacement de Serge Weinberg , sera proposée aux autres administrateurs. En 2010, Colette Neuville, présidente de l’Adam (Association de défense des actionnaires minoritaires), était entrée au conseil de surveillance d’Atos comme censeur avant de siéger comme administrateur.

Parfois, c’est l’inverse : un administrateur en fin de mandat devient censeur. Chez Veolia, Serge Michel, ancien directeur général adjoint à la Générale des Eaux, précédemment administrateur, était censeur, à plus de 90 ans.

Le censeur peut aussi être là pour des raisons politiques. Ce fut le cas en 2015, chez Alcatel-Lucent : les deux censeurs étaient des représentants des salariés, une manière de mieux faire passer la pilule auprès des Américains. Peu habitués à la présence de salariés au conseil, ils auraient peu goûté qu’ils aient le titre d’administrateurs. Parfois aussi nommer un homme à un poste de censeur permet d’afficher un équilibre homme femme conforme aux quotas parmi les administrateurs, tout en maintenant une majorité d’hommes au conseil d’administration.

L’AMF sceptique

L’AMF (Autorité des marchés financiers) est sceptique sur leur utilité. E​n 2020, constatant que le recours au censeur devenait fréquent, elle avait interrogé l’Afep et le Medef sur leur rôle, dans son rapport sur le gouvernement d’entreprise. Elle avait invité les deux organisations patronales qui rédigent le code de bonne gouvernance, à engager une réflexion. Plus précisément, elle leur avait demandé de se pencher sur l’opportunité de leur appliquer certaines des règles auxquelles sont soumis les administrateurs, ou d’analyser dans quelles conditions ils seraient assimilables à des conseils externes dont l’avis serait sollicité au cas par cas. Cette réflexion n’a pas eu lieu.

Une seule fois, fin 2021, le HCGE (Haut Comité de gouvernement d’entreprise), le gendarme de la gouvernance, s’est penché sur un cas précis, le censeur de Vivendi. Ce dernier avait cumulé ce statut de censeur dans le conseil de surveillance avec celui de salarié ayant pour mission de conseiller le directoire. Le HCGE s’était alors opposé à cette pratique.