Publié le 5 sept. 2022 à 6:50
« Le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème. » La réponse cinglante de John Connally, le secrétaire du Trésor de Richard Nixon, aux Européens inquiets de l’évolution du dollar en 1972, est plus que jamais d’actualité. Le roi dollar ne cesse de s’apprécier et toutes les zones monétaires, zone euro en tête, doivent composer avec les nouveaux équilibres du marché des changes.
Le mouvement amorcé il y a près d’un an, lorsque les banques centrales ont commencé à comprendre qu’elles ne pouvaient pas ignorer l’inflation , a propulsé, la semaine dernière, la devise de l’oncle Sam à son plus haut niveau depuis 20 ans. L’indice « dollar USD », lancé par la Réserve fédérale en 1973 et connu sous le symbole « DXY » a frôlé le niveau de 110 jeudi dernier, ce qui n’était pas arrivé depuis 2002. Il grimpe lorsque le dollar s’apprécie contre les devises de ses principaux partenaires commerciaux, notamment l’euro qui représente près de 58 % du panier de devises en question, loin devant le yen (environ 14 %), la livre sterling (12 %) ou encore le dollar canadien (9 %). En tout, l’indice dollar, qui a bouclé en août son troisième mois de hausse d’affilée, a gagné 14 % depuis le début de l’année.
La Fed a déjà relevé ses taux quatre fois
Cette folle envolée s’explique avant tout par la remontée rapide du rendement des actifs financiers américains. Laquelle doit tout à la détermination de la Réserve fédérale américaine à lutter contre l’inflation. La Fed a déjà relevé ses taux quatre fois depuis le début de l’année et ses taux directeurs qui évoluaient dans une fourchette de 0 et 0,25 % début mars, sont déjà passés à un intervalle de 2,25 à 2,50 %. Et les derniers indicateurs ne sont pas de nature à la freiner. A 8,5 %, l’inflation reste beaucoup trop élevée pour Jerome Powell. Face à des marchés qui avaient tendance à devenir trop complaisants, le patron de la banque centrale américaine a d’ailleurs remis les pendules à l’heure, fin août, à Jackson Hole.
Quant aux créations d’emplois, elles ont certes été plus modérées en août qu’en juillet (315.000 après 526.000) mais elles restent solides. Autrement dit, pas de quoi faire dévier la Fed de sa trajectoire. Un nouveau tour de vis le 21 septembre prochain est considéré comme acquis par les spécialistes de la politique monétaire, les « Fed watchers ». Seule incertitude, l’ampleur de cette nouvelle hausse de taux. Certains sur les marchés penchent en faveur d’un nouveau geste de trois quarts de point ; d’autres pensent qu’il pourrait se limiter à un demi.
La dette américaine rapporte deux fois plus que l’allemande
Mais dans les deux cas, le rapport de force avec les autres devises est toujours en faveur du dollar. L’euro, par exemple, n’a bénéficié que d’une hausse des taux directeurs cette année, le 21 juillet. Et même s’il était d’une ampleur inédite (50 points de base), ce premier relèvement en onze ans n’a porté les taux de base de la Banque centrale européenne qu’à 0,50 %. Pas de quoi changer la donne et attirer des investisseurs internationaux en quête de rendement. La dette à 10 ans des Etats-Unis rapporte 3,19 %, celle de l’Allemagne, moitié moins, 1,53 %. D’autant que les perspectives économiques de la zone euro ne sont pas brillantes.
Le problème est que la faiblesse persistante de l’euro (il a terminé la semaine sous la parité, à 0,9954 dollar) complique considérablement la tâche de l’institution de Francfort, qui doit ramener dans les clous une inflation record (9,1 % en août). Or l’Europe subit de plein fouet la hausse des prix de l’énergie et une grande partie de ses importations énergétiques est facturée en dollars.
A entendre les derniers discours des responsables de la politique monétaire européenne, elle pourrait frapper fort cette semaine. L’idée d’une hausse de 75 points de base, un geste qui serait inédit depuis la fin des années 1990, semble faire son chemin au sein du Conseil des Gouverneurs de la BCE. Il reste à savoir si cette détermination suffira à « ancrer » les anticipations inflationnistes dans la tête des acteurs économiques. Et si elle parviendra à limiter la baisse de l’euro face au dollar.