L’Union européenne prépare une « loi sur la liberté des médias »

C’est une première à l’échelle de l’Union européenne. Bruxelles doit lever le voile, cette semaine, sur une nouvelle « loi sur la liberté des médias ». Ce règlement vise à mieux encadrer les concentrations à l’œuvre dans de nombreux pays, et à mettre des garde-fous destinés à protéger les journalistes et leurs travaux lorsque leur indépendance est menacée. D’après l’AFP, une version provisoire du texte prévoit notamment des garanties pour une indépendance des rédactions vis-à-vis du pouvoir politique ou des industriels, ainsi que des exigences de transparence sur la propriété des médias.

Grâce à ce règlement, la Commission aura la possibilité de déclencher des procédures devant la justice européenne. Un nouveau Conseil des médias européen, regroupant les représentants des autorités nationales de régulation, serait chargé d’émettre un avis sur de telles concentrations susceptibles d’affecter le fonctionnement du marché commun. Le texte protège aussi le secret des sources. Il interdit l’utilisation de logiciels espions contre des journalistes et membres de leur famille – même si des exceptions sont possibles au nom de la « sécurité nationale ». Cette disposition constitue une réponse aux récents scandales Pegasus et Predator, qui ont notamment éclaboussé les autorités polonaises, hongroises et grecques.

La Commission s’alarme de « développements inquiétants »

Cela fait plus d’un an que Bruxelles planche sur ce texte. Il est notamment soutenu par Vera Jourova, la vice-présidente de la Commission européenne, qui regrette que l’UE soit trop souvent démunie lorsque des grandes manœuvres interviennent dans le secteur des médias. En mars 2021, Vera Jourova s’est notamment inquiétée de « développements inquiétants » pour la liberté et l’indépendance de la presse en Pologne, en Slovénie, et surtout en Hongrie. Dans ce pays, la télévision publique est accusée, depuis plusieurs années, d’être à la solde du Premier ministre europhobe Viktor Orban, lequel a facilement été réélu en avril dernier.

Si en France, la situation n’a rien de comparable, une nouvelle vague de concentration des médias aux mains d’une poignée de fortunes industrielles a suscité un fort émoi, notamment dans la dernière ligne droite de l’élection présidentielle. Ce mouvement est, d’ailleurs, toujours d’actualité, avec le projet de mariage entre TF1 et M6, ou encore la possibilité que l’oligarque tchèque Daniel Kretinsky, propriétaire de Marianne, de Elle et actionnaire indirect du Monde, investisse dans le quotidien Libération.

Reporter sans frontière (RSF) a déjà salué le projet de loi de la Commission. En février dernier, Christophe Deloire, son secrétaire général, a dit tout le bien qu’il en pensait. « L’année 2022 est décisive pour la garantie d’un véritable droit à l’information par l’Union européenne, a-t-il déclaré. Nous saluons la mobilisation de la Commission, et l’appelons à faire preuve de la plus haute ambition alors que la liberté de la presse et le droit à l’information sont affaiblis par des attaques protéiformes au sein même de l’Union européenne. Je salue l’engagement de Vera Jourova à défendre et promouvoir ces valeurs. »

Mais en face, les éditeurs européens sont farouchement opposés à ce texte, qu’ils perçoivent comme une menace. Aux yeux de l’Association européenne des médias magazine (EMMA) et l’Association européenne des éditeurs de journaux (ENPA), il constitue une entrave à « la liberté d’investir et de diriger une entreprise ». « Nous ne voyons aucune raison d’harmoniser la législation sur les médias au niveau européen dans le sens d’un contrôle plus étroit de la part des autorités de régulation des médias ou, indirectement, de la part de la Commission », a déclaré Ilias Konteas, son directeur exécutif. Ce nouveau texte va sans nul doute faire l’objet de nombreuses passes d’armes.