
Ce qu’on a raconté
Dans un article paru dans M Le magazine du Monde en mai 2022, je racontais les retrouvailles très personnelles, entre la famille Duchenko, qui vit à Vinnytsia, au sud-ouest de Kiev, et la mienne, à Chambéry. En 1993, le fils, Ivan, alors âgé de 10 ans, était venu pour la première fois en France, dans le cadre d’un programme d’accueil des enfants de Tchernobyl. Ses parents travaillaient à la centrale, quand le réacteur numéro 4 a explosé, dans la nuit du 25 au 26 avril 1986. Ivan a passé plusieurs étés avec ma famille. Sa petite sœur, Anna, était hébergée chez un jeune couple dans le Pas-de-Calais.
En 1994, mes parents nous ont amenés en Ukraine. Nous y avons rencontré les parents d’Ivan, Halyna et Vasily, à Vinnytsia, où ils avaient été relocalisés après la catastrophe de Tchernobyl. Les Duchenko sont venus en France l’année suivante. Trente-six ans plus tard, quand la Russie a envahi l’Ukraine, Halyna s’est réfugiée à Chambéry, avec Maryna, l’épouse d’Ivan, et leurs deux enfants, Andrii (10 ans) et Vira (4 ans). Sous-directeur de la compagnie d’énergie de Vinnytsia, chargée de la distribution d’électricité, Ivan a été mobilisé à son poste. Sa sœur, Anna, directrice d’une école primaire, a refusé de partir. Leur père a choisi de rester avec eux.
Ce qui s’est passé ensuite
Fin juin 2022, la mère d’Ivan a décidé de rentrer en Ukraine. Ne parlant ni le français ni l’anglais, elle souffrait de ne pas pouvoir se faire comprendre. En Ukraine, la grand-mère d’Ivan avait dû être hospitalisée pendant son absence. Elle-même avait des ennuis de santé. Maryna et les enfants sont restés un mois de plus. Ivan a obtenu une permission pour venir les voir quelques jours. Fin juillet, Maryna a décidé de rentrer à son tour : elle venait de découvrir qu’elle était enceinte.
Cette grossesse ne pouvait pas tomber à un pire moment. Mais Ivan, lui, était extatique : il a toujours souhaité avoir trois enfants. Alors il s’est fixé une mission : que rien de négatif ne puisse affecter son épouse, pendant les neuf mois suivants. « Le plus dur, raconte Maryna, était d’entendre les sirènes d’alerte qui annonce une attaque de l’ennemi et l’électricité qui disparaît pendant des heures, sans savoir quand elle reviendra. » Professeure en pharmacie à l’université, elle a enseigné jusqu’à mi-janvier. Le 16 février, la petite Milanka est née à l’hôpital de Vinnytsia. « Tout ce que je veux maintenant, c’est que mes enfants puissent grandir dans un pays en paix », confie Maryna.
Dans ses messages, la sœur d’Ivan, Anna, s’efforce de rester toujours positive. Mais la lassitude se fait sentir. En septembre, les cours ont repris dans son école. Les pannes d’électricité ont été de plus en plus fréquentes. Début décembre, Anna racontait : « Mon école et mon appartement se trouvent sur deux lignes électriques différentes. Quand je pars de chez moi le matin, il n’y a pas d’électricité. à l’école, nous en avons pendant une heure. Puis deux heures pendant la journée. Lorsque je rentre le soir, il n’y en a déjà plus. Je fais donc ma lessive la nuit quand elle revient. » Pour que les élèves puissent continuer à étudier pendant les alertes aux bombardements, les enseignants ont aménagé les sous-sols, grâce aux dons recueillis à l’étranger, dans le cadre de l’opération « Bracelets and Peace », dont Anna est une des initiatrices. Quand l’électricité disparaît, les élèves continuent d’étudier à la lueur de leurs lampes de poche.