« Après le choc du 49.3, est-il raisonnable d’agiter le chiffon rouge de l’immigration ? »

Et, maintenant, l’immigration ? Après le choc du 49.3, qui rouvre les plaies du conflit sur la réforme des retraites, est-il raisonnable d’agiter un nouveau chiffon rouge devant un pays aux nerfs à vif, où l’extrême droite attend son heure ?

Mercredi 15 mars, le Sénat a commencé à débattre en commission du projet de loi sur l’immigration. Accélération des expulsions d’un côté, régularisation de travailleurs sans papiers de l’autre : le texte, dont l’examen doit débuter au Palais du Luxembourg le 28 mars et à l’Assemblée nationale en juin, avait été conçu pour séduire la droite et la gauche. Il est combattu des deux côtés. Le scénario catastrophe des retraites suggère qu’il ne recueillera pas de majorité.

Tandis que Gérald Darmanin, le ministre de l’intérieur, a dû rapidement faire son deuil d’un soutien de la gauche, il a longtemps mis ses espoirs dans un accord avec le parti Les Républicains (LR). Mais sa stratégie de séduction de la droite s’est heurtée à… la réforme des retraites. Plus le gouvernement a eu besoin de la droite pour tenter de la faire passer, plus Eric Ciotti, le président de LR, et ses amis ont fait monter les enchères sur le projet immigration, bien décidés à faire payer le plus cher possible un éventuel soutien. Cette pression grandissante tend à vider de son contenu le volet « régularisation » du projet de loi.

Le recours au 49.3 risque, si le gouvernement survit et s’il maintient son texte sur l’immigration, d’inciter les élus de LR, en mal de cohésion, à resserrer leurs rangs en radicalisant davantage encore leur discours, eux dont le patron Eric Ciotti présente l’immigration comme « une menace majeure pour notre pays » et réclame « des mesures de rupture », envisageant une « suspension des flux migratoires ».

« Le brassage progresse au fil des générations »

Ainsi ce projet de loi sur l’immigration alimente-t-il l’impression d’un exécutif focalisé sur des sujets qui ne figurent pas réellement parmi les priorités des Français que sont l’inflation, la santé, l’éducation, le climat, le vieillissement. Il risque aussi de favoriser une fuite en avant répressive et xénophobe. Sans oublier l’essentiel : il n’apporte pas de solutions crédibles aux problèmes qu’il prétend résoudre.

Pour contrôler les flux d’entrées et rendre plus efficace la politique de reconduite à la frontière des illégaux – deux objectifs défendables revendiqués par le projet de loi –, l’essentiel passe, d’une part, par une coopération avec nos voisins européens en matière de contrôle des frontières et de réadmission, de l’autre par la focalisation des procédures d’expulsions sur les étrangers condamnés pour des crimes et délits menaçant l’ordre public. Rien de cela ne nécessite un énième texte de loi – le trentième depuis 1980 –, plutôt une solide action diplomatique et des politiques coordonnées entre l’administration pénitentiaire et la police. Quant à la délivrance de titres de séjour à des étrangers sans papiers travaillant dans les secteurs « en tension », elle peut s’opérer par le biais d’une actualisation de la circulaire Valls de 2012, qui prévoit de telles régularisations.

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