Jeux paralympiques 2024 : les athlètes français sous l’aile d’Airbus dans la « course à l’innovation »

D’ordinaire, les fraiseuses numériques, tourneuses industrielles et imprimantes 3D du site toulousain d’Airbus (Haute-Garonne) s’affairent en cadence à la production d’avions. Mais, depuis mai 2022, l’entreprise aéronautique a mis sa technologie au service d’un tout autre défi : produire le matériel des athlètes paralympiques de l’équipe de France.

L’accord conclu avec l’Agence nationale du sport (ANS) a été officialisé le 17 mars. Evalué à un demi-million d’euros, il revêt une importance particulière dans la course aux médailles. La France a pour objectif de figurer dans le top 5 des nations des Jeux paralympiques de Paris. À plus de 500 jours de l’événement planétaire, la bataille technique a déjà commencé.

Dans le « protospace », le centre de prototypage d’Airbus, à Blagnac, la voix d’Elur Alberdi, championne du monde de para-aviron du deux de couple mixte (PR3), résonne entre les machines : « J’ai toujours peur de perdre ma rame s’il y a du vent ou des vagues sur le plan d’eau. Ce serait bête de laisser filer une médaille olympique comme ça ».

La rameuse du club Endaika d’Hendaye souffre d’une absence de mobilité du poignet droit qui handicape sa prise de rame. « Je ne peux bouger que le bout des phalanges, j’utilise donc un gant pour me maintenir agrippée. Mais ce matériel est encombrant, onéreux, et il n’est pas spécifiquement adapté à ma pathologie », explique la rameuse de 45 ans.

« Aucun produit n’existe sur le marché pour les athlètes paralympiques, relève à ses côtés Christophe Debard, ingénieur et responsable du protospace. Mais ici, nous avons la capacité de trouver des solutions adaptées. Le matériel des athlètes ne diffère pas vraiment d’une aile d’avion : on cherche à optimiser la performance en travaillant sur la structure, la matière, l’aérodynamisme, le système mécanique, la tribologie. Ici par exemple, on a le prototype d’une lame rigide, armée d’un butoir pour les doigts, qui permettra à Elur d’épouser le mouvement de la rame sans contrainte ».

« C’est magique ! », s’esclaffe la rameuse, veste de l’équipe de France sur les épaules. Par la fenêtre du laboratoire, Christophe Debard apostrophe son entraîneur : « Tu me diras s’il passe l’agrément médical ! ». Dernière étape avant utilisation, le matériel doit être validé par les commissions médicales des fédérations.

Le matériel, un axe stratégique

Comme pour Elur Alberdi, dix-neuf projets ont été retenus à ce jour par l’ANS et Airbus, dans le cadre du plan « Ambition Bleue », qui cible les athlètes à haut potentiel pour optimiser leurs performances. « Notre objectif est de décrocher 22 à 25 titres paralympiques et 65 à 70 médailles en tout. C’est-à-dire de doubler notre bilan des Jeux de Rio, relève Arnaud Litou, manager de la performance paralympique à l’ANS. Pour y parvenir, le matériel est un levier sur lequel nous pouvons agir. L’expertise qu’apporte Airbus est révolutionnaire pour nous, elle nous permet d’offrir aux athlètes, coachs et fédérations un avantage technologique sur les autres nations ».

Si le partenariat commercial avec Airbus a été officialisé en mars, l’échange de compétences remonte à 2017, lorsque des ingénieurs avaient apporté bénévolement leur aide pour améliorer le fauteuil de David Toupé, champion de parabadminton. « Il me fallait une pièce alors j’ai toqué à côté de chez moi, chez Airbus, explique le sportif toulousain. Non seulement, j’ai pu acquérir la pièce, mais j’ai aussi continué à faire évoluer mon fauteuil avec les ingénieurs : les roues, le fauteuil, l’assise, le poids, sans avoir à acheter quinze fauteuils ni à y passer toutes mes soirées. En trois mois, nous avons fait ce qui m’aurait pris cinq ans tout seul ».

Le fauteuil « 2.0 » de David Toupé n’était pas passé inaperçu auprès de l’ANS, qui cherchait alors à changer de braquet après une décevante 12e place au tableau des médailles des Jeux paralympiques de Rio, en 2016. Cette même année, le studio de design du constructeur automobile allemand BMW repensait le fauteuil de course de l’équipe d’athlétisme américaine, remportant sept titres dans les catégories fauteuil (T52, T54) et actant le début d’une véritable course technologique entre nations.

Confidentialité

L’accord avec Airbus ne garantit cependant aucune exclusivité à l’ANS. « Une question de concurrence », assure-t-on du côté de la société aéronautique. « Notre corps de métier demeure les avions, nous n’allons pas ouvrir une nouvelle branche, précise Sabine Klauke, directrice technique d’Airbus. Mais nous sommes fiers de mettre nos technologies au service des athlètes français. Ça nous pousse à innover. »

La moitié de l’enveloppe allouée aux fédérations participantes a déjà été dépensée, mais tous les projets ne sont pas au même stade d’avancement. Certains équipements ne nécessitent que quelques heures de travail, quand d’autres mobilisent jusqu’à 40 personnes sur plusieurs mois.

Le champion paralympique de triathlon (catégorie PTS4), Alexis Hanquinquant, figure parmi les bénéficiaires de ce programme. « Quand l’ANS m’a proposé cet axe de travail, ça a été une évidence. J’ai été le premier à courir et à faire du vélo avec la même prothèse carbone et cela m’a permis de gagner beaucoup de temps sur la transition. Mais depuis les jeux de Tokyo, j’ai été imité par mes concurrents. Je dois donc innover pour ne pas perdre mon avantage technique. Je n’en dis pas plus, c’est encore secret », explique le champion, venu spécialement de Seine-Maritime pour tester son matériel.

« C’est une question de calendrier. Pas trop tôt pour ne pas être imité, pas trop tard pour s’assurer que le matériel est dans les clous de la réglementation internationale, soupèse son entraîneur, Nicolas Pouleau. Matière, forme, aérodynamisme, la confidentialité reste de mise. « Ça ne remplacera pas l’entraînement, confie Alexis Hanquinquant, mais cela pourrait faire la différence entre une médaille en chocolat et un titre paralympique à Paris ».

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