IMMOBILIER. Le plan de rénovation énergétique voulu par l’État crispe autant les professionnels que les propriétaires ou les locataires de ces logements mal isolés.

Incontournable. Le diagnostic de performance énergétique (DPE) est désormais obligatoire pour la vente ou la location d’un bien immobilier.
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L‘histoire est entendue. Urgence climatique, notes de chauffage renchéries par le contexte de la guerre en Ukraine et la flambée des coûts de l’énergie… Tout le monde, à l’exception peut-être des vendeurs de radiateurs électriques de type grille-pain, aimerait voir disparaître au plus vite les « passoires thermiques ». Sur les 30 millions de résidences principales que compte la France, 5,2 millions pourraient être considérées comme telles (étiquettes F et G du DPE), soit 17 % du parc. Parmi lesquelles 500 000 seraient estampillées G+, c’est-à-dire accusant une consommation d’énergie finale supérieure à 450 Kwh/m2/an. Dans ce bataillon de mauvais élèves, 140 000 cancres se cachent dans l’habitat du parc locatif privé. Le montant des loyers de ces logements considérés comme indécents a été gelé et ils ne peuvent plus être (re)mis en location avant que leurs propriétaires aient engagé des travaux de rénovation thermique. Et prouvé qu’il sont rentrés dans les clous, conformément au calendrier d’éradication des passoires énergétiques. « Ces habitations seront retirées du marché locatif parce que leurs propriétaires n’auront eu ni le temps ni l’argent d’engager de lourds travaux de mise aux normes, dans un contexte de pénurie des matériaux et de main-d’œuvre », tempête l’Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI). Dont les pétitions incriminent tour à tour la fiabilité des diagnostics de performance énergétique (DPE), des processus de décision « longs et compliqués » au sein des copropriétés, mais aussi l’opacité des dispositifs de subventions (MaPrimeRénov’, certificats d’économies d’énergie, etc.), qui ne profiteraient qu’à une partie des propriétaires, les plus modestes, selon l’UNPI. « Tout le monde parle du propriétaire bailleur, mais qui pense au locataire contraint de jeter chaque mois de l’argent par les fenêtres ? contre-attaque Yannick Ainouche, président de la chambre des diagnostiqueurs de la Fnaim. Un logement classé G+ est une authentique passoire : aucune isolation, un simple vitrage, pas de bonne ventilation, un système de chauffage désuet, un ballon d’eau chaude entartré… »
Présidente de Particulier à particulier (PAP), Corinne Jolly bouillonne et n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat : « Dans sa forme actuelle, le calendrier que le gouvernement impose est un projet tout simplement irréaliste. Arrêtons de faire semblant. Il faudrait huit fois plus d’entreprises artisanales labellisées RGE (reconnu garant de l’environnement), qui répondent seules à l’éco-conditionnalité des aides à la rénovation énergétique. Et les artisans sont si sollicités que cette main-d’œuvre n’a ni l’envie ni le besoin de dépenser du temps et de l’argent à se former pour obtenir ce sésame. » « Il sera difficile de tenir les échéances fixées si on n’assouplit pas certaines règles de rénovation ou si on n’augmente pas de manière très significative le nombre d’artisans RGE », plaide Romain Villain, directeur général de la start-up Heero, spécialisée dans la rénovation énergétique.
LE DIAGNOSTIC DE PERFORMANCE ÉNERGÉTIQUE EN FRANCE

Délai. Fraîchement élu à la tête du syndicat des professionnels de l’immobilier Fnaim, Loïc Cantin ne s’oppose pas à la sortie du marché locatif des passoires G+, mais estime trop court le délai pour les G et F : « Leur prochaine interdiction à la location est une sanction trop répressive. Il aurait mieux valu mettre en place un calendrier d’incitation avec un délai plus raisonnable. L’immédiateté ne correspond pas à la temporalité de la rénovation énergétique, et un temps d’adaptation est nécessaire pour cadrer harmonieusement avec la commande publique. » D’après un récent sondage Ipsos réalisé pour Nexity, un Français sur trois déclare ne pas savoir avec qui et comment se faire accompagner pour entreprendre des travaux de rénovation énergétique, peiner à identifier les entreprises sérieuses et craindre les arnaques. Pour Audrey Zermati, porte-parole d’Effy (voir interview),« l’État subventionne aujourd’hui la décarbonation du logement privé en remplaçant notamment les chaudières obsolètes au fioul ou au gaz par des pompes à chaleur, dont l’efficacité énergétique et économique divise par quatre la facture domestique. Mais changer les fenêtres, isoler de l’intérieur (ce qui fait perdre des mètres carrés habitables, NDLR) sont des « monogestes » insuffisants pour gagner une voire deux étiquettes de classe énergétique ». Et pour se conformer au calendrier prévu par l’État pour en finir avec les passoires thermiques. L’action prioritaire ? Isoler l’enveloppe intérieure et/ou extérieure du bâti (combles, murs, fenêtres), à l’image d’une doudoune en hiver et d’un K-Way en été quand il pleut. « Seule une rénovation globale va garantir une réelle performance thermique. Cela implique un reste à charge conséquent qui, pour être financé, nécessite un portefeuille bien garni ou l’emprunt de tout ou partie de la somme du reliquat exigé », détaille Giovanni Lecat, délégué de l’association Thermorénov. De nombreuses voix comme la sienne s’élèvent pour réclamer la création d’un guichet unique, destiné aux particuliers comme aux professionnels, centralisant les aides nationales (MaPrimeRénov’, certificat d’énergie CEE…) et locales à différents échelons du territoire : région, département, communauté d’agglomération. D’ailleurs, doit-on opposer radicalement rénovation partielle (monogestes) et rénovation énergétique globale ? Ces travaux sont réalisés à différentes périodes de la vie et sont motivés par divers objectifs (confort, rénovation, extension…). Ils ne mobilisent pas les mêmes chantiers et n’ont pas la même durée.
DPE : UNE VÉRITABLE USINE À GAZ

Revente. De l’avis de bon nombre d’observateurs, un propriétaire (occupant ou bailleur) calculera avant tout le retour sur investissement. Même si le passage à l’acte peut également prendre en compte la valeur verte du logement, avant sa revente ou sa transmission aux héritiers. SeLoger, Bien’ici… les poids lourds d’annonces immobilières observent une augmentation significative des mises en vente de passoires thermiques. « À l’instar de la baleine bleue ou du panda roux, elles sont une espèce en voie d’extinction », indique Caroline Evans de Gantès, aux commandes de SeLoger. Cette prédiction se vérifiera-t-elle dans les prix des biens immobiliers du parc parisien ancien ? En effet, il faut savoir qu’un tiers de ces appartements, souvent très anciens, sont aujourd’hui considérés comme d’horribles passoires thermiques.
Quel budget prévoir
Simulation pour une maison de 110 m2, classe énergétique G, dotée d’un chauffage au fioul ou au gaz ancien (avec des radiateurs vétustes et sans thermostat), de simple vitrage, dépourvue d’isolation et de ventilation mécanique.
Scénario de travaux Viser la classe énergétique D.
ESTIMATION DU MONTANT DES TRAVAUX À ENGAGER POUR CE SCÉNARIO

ESTIMATION DES AIDES ET DU RESTE À CHARGE POUR UN MÉNAGE AUX REVENUS INTERMÉDIAIRES

sp (x2) – ELIAS PHOTOGRAPHY/SP – GARO/Phanie via AFP
Source: lepoint.fr