Mathématiques : la pose du carrelage, une drôle d’équation

Les mathématiciens ont parfois des jeux étranges qui peuvent les occuper pendant des années. Quatre d’entre eux viennent peut-être de terminer un amusement, sous forme de question existentielle : peut-on paver une pièce avec un seul type de carreaux, mais sans que l’ensemble soit répétitif (donc monotone à l’œil) ? Ou, plus techniquement, peut-on réaliser un recouvrement non périodique avec une seule tuile ?

La réponse apportée par David Smith, Joseph Samuel Myers, Craig S. Kaplan et Chaim Goodman-Strauss est positive, comme ils le détaillent dans un article soumis à une revue scientifique et mis déjà à disposition en ligne le 20 mars.

Leur tuile est un polygone à treize côtés non convexe (avec des angles rentrants ou sortants, contrairement à un carré, un pentagone, un hexagone…) qui évoque la forme d’un chapeau, comme ils l’ont surnommé. Correctement assemblée avec elle-même, elle recouvre tout l’espace, sans jamais qu’un motif d’ensemble se répète. C’est ce qu’on appelle un « Einstein », qui n’a rien à voir avec le génial physicien, mais est un jeu de mots avec ein Stein, qui veut dire « une pierre » en allemand.

« Il y a beaucoup de pavages répétitifs intéressants, mais ils ne sont pas merveilleux, alors que les apériodiques ont des qualités mystérieuses et une certaine part d’imprévisibilité », estime David Smith, qui a trouvé, à la main, ce carreau en novembre 2022. Puis, ce Britannique du Yorkshire, mathématicien amateur, s’est associé à ses collègues pour prouver deux propriétés importantes. D’une part, que cette tuile recouvre bien tout le plan. D’autre part, qu’elle ne peut pas le faire de façon périodique. Par exemple, un triangle isocèle peut être assemblé en un pavage apériodique, mais aussi périodique. Ce n’est donc pas un Einstein. L’article propose deux démonstrations, dont l’une utilise un ordinateur pour tester un ensemble de combinaisons.

« Ils exposent un schéma de preuve classique, sans introduire de nouveaux concepts. Ce sont aussi des scientifiques connus dans le domaine », souligne Michaël Rao, chercheur (CNRS) à l’Ecole normale supérieure de Lyon. « Cette preuve par ordinateur peut rassurer. L’ensemble a aussi l’air bien écrit. C’est un bel effort », estime Terence Tao, mathématicien réputé, professeur à l’UCLA, qui s’est récemment illustré dans les pavages, non pas de plan, mais de volume.

Des affirmations… erronées

Le texte inspire donc confiance, mais la prudence est de rigueur en attendant les évaluations de la revue. D’autant que le domaine a déjà connu des affirmations qui se sont révélées erronées. Depuis 1918, par exemple, les mathématiciens se demandaient combien de types de pentagones pouvaient paver (périodiquement, bien sûr) une cuisine. En 1968, l’un d’eux, Richard Kershner, pensait avoir démontré qu’il n’y en avait que huit. Mais, en 1976, une mathématicienne amatrice américaine, Marjorie Rice, en a trouvé quatre de plus ! Et, en 2017, Michaël Rao a démontré qu’il n’y en a que quinze… mais son article est resté en prépublication.

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