
Léa Sébastien est géographe au CNRS et à l’université Toulouse-II. Elle étudie les conflits d’aménagement et s’intéresse à leurs enjeux environnementaux et démocratiques ainsi qu’aux motivations des membres des collectifs. Elle a coécrit l’ouvrage Résister aux grands projets inutiles et imposés (Textuel, 2018).
Quels constats faites-vous sur l’évolution des mouvements de résistance aux projets d’infrastructures tels que les mégabassines ?
Il existe, depuis une dizaine d’années, une intensification et une diversification des conflits liés à des projets d’aménagements. Un peu partout en France, des centaines de collectifs de taille diverse réunissent des citoyens qui s’opposent à la construction de centres commerciaux, de bassines, d’entrepôts, de routes… Dans la seule région Occitanie, où j’enseigne, j’ai recensé plus de 370 conflits en vingt ans, qui concernent aussi bien des petits que des gros projets, des territoires urbains et ruraux.
Cette intensification s’accompagne d’une prise de conscience de valeurs communes aux différents collectifs. Jusqu’en 2010, les oppositions locales aux projets restaient isolées et territorialisées. Pour la première fois, cette année-là, un forum a rassemblé à Hendaye (Pyrénées-Atlantiques) une diversité de collectifs et conduit à la rédaction des chartes d’Hendaye (2010) et de Tunis (2013). Les participants ont créé l’acronyme GP2I pour « grands projets inutiles et imposés » : « inutiles », parce que ces projets ne répondent pas aux besoins des habitants, et « imposés », car décidés sans concertation à l’échelle locale.
Depuis, ces réseaux se sont structurés. Même s’il s’agit toujours d’une histoire unique entre des habitants et un territoire avec des revendications locales particulières, beaucoup de collectifs partagent des valeurs en matière d’écologie et de démocratie. Des associations comme Les Soulèvements de la terre ou Terres de luttes cherchent à rendre compte de ces convergences par des rassemblements, l’échange d’informations, des propositions communes en faveur d’une autre façon d’aménager les territoires, ou plutôt de les ménager, car là est le débat de fond.
De quelle façon ce passage s’opère-t-il entre une lutte territoriale locale et des engagements sur des enjeux globaux ?
Au sein des collectifs que j’ai pu observer, ces liens apparaissent, en général, au fil du temps. Quand ils apprennent qu’une décharge, une bassine ou une autoroute va se construire près de chez eux, les riverains décrivent d’abord un état de choc et un sentiment d’impuissance face à une décision perçue comme venue d’en haut. Puis des dynamiques se mettent en place. Des habitants souvent néophytes, des agriculteurs qui n’avaient jamais milité se documentent, s’informent sur les aspects réglementaires et techniques des projets, développent des compétences environnementales et juridiques.
Il vous reste 75.1% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.