
Vues depuis Bruxelles, les récentes élections turques impressionnent doublement, mais elles sont également scrutées comme un élément d’une réalité européenne complexe : la guerre est de retour sur le continent, peut-être pour des années. L’agression russe en Ukraine vise aussi l’Europe et l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), et la Turquie a multiplié ses liens avec la Russie, alors même que son économie est dans une crise profonde. Une fois le cycle électoral achevé, les choix politiques de la Turquie dans les semaines et les mois à venir seront mesurés à l’aune de cette situation.
Les politiciens européens sont à la fois impressionnés par le taux très élevé de participation aux élections du 14 mai et par le déséquilibre flagrant de la campagne au bénéfice du parti en place. Mais, indépendamment du résultat du second tour de l’élection présidentielle, le 28 mai, ils s’interrogent sur la posture internationale de la Turquie après cette élection.
Quel qu’il soit, le futur président turc prendra en main un pays bien différent de celui de 2018 : l’économie est en berne en raison d’une politique monétaire irrationnelle qui engendre une inflation prolongée. Les expédients financiers utilisés pour combler les déficits ne sont pas soutenables à long terme. L’investissement étranger et les financements de court terme sont devenus hésitants pour le même motif, ainsi qu’en raison du démantèlement continu de l’Etat de droit. La pression des réseaux de trafiquants d’êtres humains ne faiblit pas et l’orientation politique du pays est plus conservatrice et nationaliste qu’auparavant. Par ailleurs, sa puissance militaire s’est accrue et son industrie de défense a progressé, tandis que de nouvelles infrastructures ont recouvert le pays et que l’autosuffisance énergétique est en voie d’amélioration.
La Turquie, entourée d’un arc de tensions et de conflits, joue traditionnellement un rôle crucial pour les pays européens et pour l’OTAN. Mais depuis quelques années, et surtout depuis l’invasion russe en Ukraine, sa « politique équilibrée » entre Russie et Alliance atlantique a abouti de facto à conférer à la première un avantage stratégique majeur sur sa frontière avec la seconde : elle a privé les forces turques de missiles occidentaux et d’avions furtifs performants, et a ainsi affaibli l’OTAN.
Réalité géopolitique problématique
Dans cet équilibre théorique, Ankara a certes voté les résolutions des Nations unies condamnant l’invasion russe, adopté les conclusions ministérielles de l’OTAN, fermé les détroits à la seconde flottille russe se dirigeant vers Sébastopol, et livré des drones de moyenne altitude et des véhicules blindés à l’Ukraine. Mais elle n’a adopté aucune sanction, déployé aucun contingent opérationnel au titre de l’OTAN entre l’Estonie et la Roumanie. Elle est aussi soupçonnée d’avoir aidé la Russie à contourner l’embargo sur ses exportations de pétrole brut. En parallèle, la dépendance envers la Russie s’est accrue : achats de gaz et pétrole avec paiements différés, centrale nucléaire propriété de la Russie avec avances financières, tourisme et exportations agricoles régulés par Moscou, missiles russes, tolérance des opérations militaires en Syrie.
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