Emploi de drones par les forces de l’ordre : le Conseil d’Etat rejette la demande de suspension du décret d’application

Un gendarme utilise un drone en Corse, pendant le confinement, le 21 mars 2020.

Le Conseil d’Etat a rejeté, mercredi 24 mai, le recours déposé par l’Association des défenses des libertés constitutionnelles (Adelico) et un particulier contre le décret autorisant, depuis le 19 avril, l’utilisation de drones par les gendarmes, policiers et douaniers au cours d’opérations de maintien de l’ordre.

La décision de la plus haute instance de justice administrative a été prise dans le cadre d’une procédure en référé, l’Adelico dénonçant un risque grave et immédiat d’atteinte à la vie privée, à la protection des données personnelles ainsi qu’à la liberté d’aller et venir et de manifester des personnes filmées par les caméras embarquées sur les aéronefs. Le Conseil d’Etat a réfuté ses arguments mais compte se prononcer une seconde fois sur le fond, hors de cette procédure d’urgence, « dans les prochains mois ».

Les juges ont rejeté l’ensemble des arguments portés par les requérants en considérant qu’« il n’exist[ait] pas de doute sérieux sur la légalité de ce décret ». L’absence de publication des doctrines d’emploi des drones dans le décret d’application, dénoncée par l’association, n’a notamment pas été retenue : « La loi n’imposait pas de faire figurer ces précisions, de nature opérationnelle plus que juridique, dans le décret lui-même », considère la justice administrative dans un communiqué accompagnant la décision. Elle demande cependant que ces doctrines, qui doivent décrire précisément les cas d’usage et procédure d’utilisation des caméras embarquées, les méthodes de captation et de traitement des images, soient bien transmises à la CNIL en cas de contrôle.

Le Conseil d’Etat rappelle aussi que les autorisations préfectorales ne doivent être accordées qu’« à la condition qu’aucun autre moyen ne permette d’atteindre la finalité poursuivie » et dans les restrictions imposées par le décret – notamment la limitation du temps et du périmètre d’utilisation, ainsi que d’accès aux images par des agents autorisés et d’information du public d’une captation en cours. Enfin, les juges rappellent que la publication des arrêtés d’autorisation de l’utilisation des drones doivent être publiés suffisamment tôt avant leur déploiement pour permettre le dépôt de recours devant les tribunaux administratifs.

Plus de 50 utilisations par différentes préfectures

Trois ans après leur apparition dans l’espace public pendant le confinement du printemps 2020, les drones utilisés par les autorités pour filmer les opérations de maintien de l’ordre avaient fait leur retour à Paris à l’occasion des manifestations du 1er-Mai. Il s’agissait de l’une des premières autorisations émises dans le cadre légal défini par le nouveau décret. Depuis sa parution, un recensement effectué par Le Monde fait état de plus de cinquante utilisations par différentes préfectures en France, pour des opérations très diverses : manifestations, lutte contre les rodéos urbains, lutte contre la délinquance à Mayotte, contre le trafic de stupéfiant à Marseille…

Le texte est l’aboutissement de trois ans de controverses juridiques et politiques. Interdite par le Conseil d’Etat pendant la crise sanitaire du fait d’un manque d’encadrement, la pratique avait été réintroduite par le vote de la loi sécurité globale en 2021, mais les dispositions avaient été censurées par le Conseil constitutionnel. Une version remaniée figurait dans la loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, votée quelques mois plus tard.

Le nouveau décret, qui en est issu, autorise l’utilisation de drones par les policiers, gendarmes, douaniers ou militaires, dans certains cas pour « la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés », pour « la sécurité des rassemblements » sur la voie publique, ainsi qu’en « appui » des agents « au sol » dans un objectif de maintien ou de rétablissement de l’ordre public. « Il s’agit de finalités de police administrative : il s’agit de prévenir, sécuriser et secourir, pas de collecter des preuves ou d’enquêter comme en procédure judiciaire », précise le ministère de l’intérieur dans un texte présentant les nouvelles mesures.

La loi prévoit que les images captées par les caméras embarquées (qui n’enregistrent pas de son) peuvent être transmises en direct aux centres de commandement. Selon le décret, elles seront conservées pour une durée maximale de sept jours par les autorités, puis supprimées si elles ne font pas l’objet d’une enquête.

Dans les premières quarante-huit heures après leur enregistrement, précise encore la réglementation, les agents devront supprimer « les images de l’intérieur des domiciles et, de façon spécifique, leurs entrées lorsque l’interruption de l’enregistrement n’a pu avoir lieu compte tenu des circonstances de l’intervention ». La captation sans limite des espaces publics et privés par les drones est l’un des points sensibles de l’évolution des pratiques, les systèmes de vidéosurveillance actuels n’étant pas autorisés à filmer des fenêtres ou des portes de logements.

Le Monde