
Livre. Avec ce premier ouvrage publié par la maison d’édition La Déferlante, nouvellement créée dans le sillage du succès de la « revue des révolutions féministes » qui porte son nom, il s’agissait surtout de reprendre la parole. La reprendre aux institutions – médicales et judiciaires, en particulier –, qui ont longtemps eu le monopole du discours légitime sur les transidentités ; la reprendre aux polémistes et aux acteurs politiques, qui, depuis quelques années, multiplient les attaques contre une supposée « idéologie transgenre » ; la reprendre pour la donner aux premiers concernés. Et à ce titre, La Fin des monstres. Récit d’une trajectoire trans réussit à dire beaucoup avec peu de mots.
Tal Madesta livre en effet dans cette courte autofiction le récit de sa propre transition de genre, entamée en 2020. Ce cheminement, ponctué de rêves d’enfant et de lettres d’amour, est rendu étape par étape : il a d’abord fallu s’oublier, puis sauter le pas, et s’armer contre les regards et les questions intrusives avant de pouvoir s’inventer soi-même.
Cependant, et alors que les personnes trans sont souvent contraintes de revêtir un « costume de transexuel·le stéréotypé » dans le but d’obtenir reconnaissance, accès aux soins ou changement d’état civil, il s’agit avant tout pour l’auteur de rappeler : « Tout comme il y a mille manières d’être au monde pour les femmes et les hommes cis, il en va de même pour nous. » Et que les personnes trans, comme les autres, ont le droit de s’interroger, de douter, de s’écarter des sentiers balisés, sans que ces humaines hésitations ne soient systématiquement instrumentalisées.
« Marginalité forcée »
Pensé à la fois comme un plaidoyer pour l’émancipation des personnes transgenres et comme un outil pédagogique à destination des personnes cisgenres (c’est-à-dire celles qui se reconnaissent dans le genre qui leur a été attribué à la naissance), l’ouvrage prend le temps de remettre en contexte, d’expliquer les concepts, de construire ses commentaires. Surtout, il fait le récit d’une bataille perpétuelle contre le cissexisme – cette croyance selon laquelle l’identité des personnes cisgenres serait plus naturelle et légitime que celle des personnes transgenres – et des ravages de celle-ci sur les vies des personnes trans.
Coûteux et épuisant, ce combat fournit aussi des armes à Tal Madesta : « Parce que nous avons dû nous battre pour être reconnus comme membres à part entière de notre sexe, nous avons développé un sens réflexif aigu de notre masculinité, par contrainte, par nécessité et par survie. » Tirant profit de sa « marginalité forcée », l’auteur expose la façon dont il remet en question et trie inlassablement chaque élément du masculin pour devenir « l’homme qu[’il] veu[t] être » et ne pas se construire comme le font tant d’autres – c’est-à-dire contre les femmes. Un programme dont chacun et chacune pourrait s’inspirer pour s’émanciper de masculinités et de féminités trop souvent étriquées.
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