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« La Lettre Mansholt. 1972 » : une anticipation vertigineuse de la crise climatique

Livre. On ne sait pas trop s’il faut rire ou pleurer à la lecture de cet étonnant document. Le 9 février 1972, Sicco Mansholt, vice-président de la Commission européenne chargé de l’agriculture (et à ce titre un des pères de la politique agricole commune), adressait une lettre au président de la Commission de l’époque, Franco Maria Malfatti. M. Mansholt avait suivi de près les travaux du Club de Rome, qui allait publier un mois plus tard le rapport Meadows, ou Les Limites à la croissance, en y annonçant l’épuisement final des ressources naturelles et énergétiques en cas de poursuite de la croissance mondiale au rythme atteint à l’époque. La Lettre Mansholt. 1972 suggérait d’en tirer immédiatement les conclusions pratiques, un renversement complet des politiques suivies jusque-là était proposé : « Il est évident que la société de demain ne pourra pas être axée sur la croissance. »

La boussole ne devrait plus être le produit national brut, mais l’« utilité nationale brute », c’est-à-dire une limitation de la production aux besoins de la société. Conscient que cela signifierait « un net recul du bien-être matériel par habitant et une limitation de la libre utilisation des biens », Mansholt préconise une planification stricte de la production par la puissance publique (la Commission et les Etats) afin de la répartir équitablement entre tous les citoyens et, pour ce qui est des matières premières, entre les entreprises.

Dilemmes contemporains

Il souhaite aussi mettre en place la compensation de la réduction de la consommation de biens matériels par l’extension de l’offre de biens « incorporels » (santé, éducation, culture, loisirs), une aide massive aux pays du tiers-monde, qui, sinon, poursuivraient leur propre chemin de croissance au péril de l’environnement, une réorganisation de la production, y compris agricole, pour en limiter l’impact environnemental (recyclage, matériaux et énergie « propres », chasse au gaspillage, mesures antipollution), la taxation aux frontières des produits étrangers non conformes à ce mode de production, etc.

Ce programme proposé il y a un peu plus de cinquante ans est peu ou prou celui que préconisent aujourd’hui les économistes écologistes, et que commencent à esquisser par petites touches certaines politiques nationales et le Green Deal de la Commission européenne. A l’époque, la lettre avait suscité une avalanche de commentaires négatifs, à droite comme à gauche, comme l’explique dans l’introduction Dominique Méda, publiant à l’appui des documents comme la réaction de Georges Marchais, alors secrétaire général adjoint du Parti communiste, parue le 5 avril dans L’Humanité, ou les extraits d’un débat organisé le 19 juin 1972 par Le Nouvel Observateur avec, entre autres, Herbert Marcuse, Edmond Maire, Edgar Morin et Sicco Mansholt lui-même. Tous les termes des dilemmes contemporains – comment organiser une transition socialement juste, politiquement acceptable, économiquement efficace, écologiquement durable ? – sont déjà là. Que de temps perdu !

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