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La revue « Esclavages et post-esclavages » sur la trace des destins individuels

La revue des revues. Depuis la loi Taubira du 10 mai 2001 reconnaissant la traite des êtres humains comme un crime contre l’humanité, un mémorial commémorant l’abolition définitive, en 1848, de l’esclavage en France est à l’étude. En 2018, à l’occasion du 170anniversaire de cet événement, le monument fut annoncé ; deux ans plus tard, un appel à projets pour l’installer au jardin des Tuileries est lancé. L’œuvre envisagée devait donner à lire les noms des 200 000 esclaves qui avaient été affranchis en ce jour historique. Mais comment le faire sur la modeste parcelle prévue à cet effet, sans envahir les allées du jardin ? Il apparut bien vite que les artistes ne pouvaient concilier leurs projets originaux avec cet impératif mémoriel. Le 8 mars 2021, l’appel était officiellement annulé.

Lorsqu’elle veut reconstituer les expériences individuelles des esclaves ou de leurs descendants sans renoncer à une compréhension d’ensemble, la recherche en histoire et en sciences sociales rencontre des problèmes tout aussi délicats. Comment identifier chaque individu sans le séparer d’un destin collectif et, inversement, comment saisir le collectif sans renoncer à identifier les individus ? C’est à cette question méthodologique qu’est consacré le dernier numéro de la revue en ligne et gratuite, créée en 2019, Esclavages et post-esclavages. Paru le 10 mai et intitulé « A taille humaine. Trajectoires individuelles et portraits de groupe dans l’histoire des sociétés esclavagistes et post-esclavagistes », il entend suivre une voie étroite entre le biographique et le social.

« Portrait de groupe »

Cinq contributeurs s’y essaient, du Chili au Kenya en passant par l’Italie, les Antilles ou le Brésil, du XVIIe siècle à nos jours. L’approche par « portrait de groupe » réussit à rendre sensible ce que les approches « macro » semblaient délaisser : l’expérience vécue, l’espace des possibles, la capacité d’agir sur son propre destin, ou au contraire l’indépassable poids des contraintes.

Si de telles recherches ont pu être stimulées par Internet, qui permet de publier en ligne des bases de données à contenus généalogiques ou prosopographiques, une difficulté documentaire insurmontable traverse tous ces travaux. Car c’est la condition d’esclave elle-même qui entraîne l’impossibilité de transmettre son nom et son histoire. Plutôt que des biographies riches et cohérentes, ce sont donc des « bribes de vie », des trajectoires discontinues et des mémoires en pointillé qui sont données à voir. Il faut, pour les reconstituer, réunir des traces dispersées dans les archives, ou s’appuyer sur des entretiens oraux avec des descendants d’esclaves – récits de vie douloureux dans lesquels les individus sont saisis dans leur famille, leur communauté de travail ou leur quartier. Jusqu’à nos jours, les esclaves sont d’abord ceux dont l’identité est mal assurée : les « produits » d’un empêchement dans la filiation et d’un accident de la mémoire.

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