L’interdiction des vols intérieurs courts en France, une mesure vidée de sa substance

« Un signal majeur », « un symbole fort », « une première mondiale ». Le ministre délégué aux transports, Clément Beaune, n’a pas manqué de superlatifs pour se féliciter, mardi 23 mai, de l’entrée en vigueur de l’interdiction des lignes aériennes courtes à l’intérieur de la France. Mais derrière la communication, la mesure aura en réalité des conséquences limitées en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Loin des ambitions initiales.

Un vol intérieur à la France sur quarante concerné

L’idée de supprimer les trajets en avion quand ils sont facilement remplaçables par un autre mode de transport s’est imposée dans le débat public au cours des dernières années. Objectif : lutter contre le changement climatique, les vols intérieurs représentant environ 0,5 % du total des émissions de CO2 françaises (et plus encore si l’on compte également l’effet des traînées de condensation formées par les avions).

La mesure mise en place par le gouvernement part d’un principe simple : interdire les trajets pour lesquels une alternative de moins de deux heures trente en train existe. Mais dans les faits, seules trois liaisons seront concernées par cette interdiction : Paris-Orly – Bordeaux, Paris-Orly – Lyon et Paris-Orly – Nantes.

Avec moins de 5 000 trajets annuels, ces vols ne représentent qu’une partie minime du trafic aérien intérieur de la France, qui en compte près de 200 000 chaque année (soit 2,5 %). La mesure touche environ 500 000 passagers annuels, sur un total de 16 millions (3,1 %). Deux de ces liaisons (Paris-Orly – Bordeaux et Paris-Orly – Lyon) avaient d’ailleurs déjà été supprimées par Air France en 2020, à la demande du gouvernement, tandis que la troisième (Paris-Orly – Nantes) l’a été sur décision de la compagnie.

Une ambition revue à la baisse

« Engagement tenu », s’est félicité Emmanuel Macron en annonçant la mise en place de l’interdiction. Or, si l’exécutif revendique avoir repris une proposition « issue des travaux de la convention citoyenne pour le climat » (CCC), la mesure mise en œuvre aujourd’hui est loin de l’ambition initiale des 150 citoyens tirés au sort pour plancher sur la réduction de l’empreinte carbone de la France. Dans son rapport publié en 2020, la CCC appelait de ses vœux la suppression de tous les vols en présence d’une alternative ferroviaire de moins de quatre heures.

Seuls 2,5 % des vols intérieurs concernés

Sur 200 000 trajets intérieurs effectués en avion en 2021, environ 35 000 auraient été supprimés avec la proposition de la CCC (moins de 4 heures), et 5 000 sont supprimés par le projet du gouvernement.

Source : DGAC/Le Monde (données 2021 pour la France métropolitaine, Corse incluse)

Précision : la répartition exacte du trafic entre Paris-Orly et Paris-Charles-de-Gaulle n’étant pas détaillée, nous avons considéré par une approximation prudente que Paris-Orly représentait la moitié des dessertes sur les trois trajets concernés (Paris – Bordeaux, Paris – Lyon et Paris – Nantes).

Alors qu’Emmanuel Macron avait promis de faire adopter « sans filtre » les propositions de la CCC, il a finalement opté pour un dispositif moins ambitieux. La loi climat et résilience de 2021 ne prévoit l’interdiction des vols intérieurs qu’en cas d’alternative inférieure à deux heures trente. Ce qui visait théoriquement huit liaisons aériennes, pour 12 000 trajets annuels. Cependant, la mesure a été une nouvelle fois affaiblie à l’occasion de la rédaction du décret d’application de la loi, qui prévoit des dérogations pour conserver certaines liaisons.

Ainsi, trois lignes ont été « sauvées » au nom l’insuffisance de l’offre ferroviaire alternative. Les trajets Paris-Charles de Gaulle – Rennes, Paris-Charles de Gaulle – Lyon et Lyon – Marseille peuvent certes être effectués en train en moins de deux heures trente, mais les horaires de la SNCF ne permettent pas d’arriver suffisamment tôt ou suffisamment tard à l’aéroport concerné, a estimé le gouvernement.

Deux autres lignes menacées, Paris-Charles de Gaulle – Bordeaux et Paris-Charles de Gaulle – Nantes, ont finalement été conservées en raison de la méthode choisie par le gouvernement pour calculer les alternatives ferroviaires. S’il faut moins de deux heures trente pour relier Bordeaux ou Nantes au centre de Paris en TGV, le gouvernement a considéré qu’il fallait mesurer la durée du trajet jusqu’à l’aéroport Charles de Gaulle, situé en périphérie de la capitale. Ce qui a mécaniquement fait passer ces liaisons au-dessus de la barre fatidique des deux heures trente, et interroge : la majorité des déplacements ne visent-ils pas à rallier la capitale, plus que l’aéroport ?

Un effet très limité sur le réchauffement climatique

Prise au nom du climat, la mesure du gouvernement n’aura qu’un effet très limité sur les émissions de gaz à effet de serre de la France, même à l’échelle de l’aéronautique. L’économie générée serait de l’ordre de 55 000 tonnes de CO2 par an, a estimé la direction générale de l’aviation civile. Soit environ :

Il est aussi intéressant de comparer le bilan carbone des modes de transport. A cette aune, un passager d’un vol intérieur émet en moyenne 258 g en équivalent CO2 par kilomètre parcouru (traînées incluses), contre 147 g en voiture, soit moitié moins, et 3,34 g en TGV, soit environ 80 fois moins.

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