Pour ses 25 ans, la Banque centrale européenne en échec face à l’inflation

Le siège de la BCE à Francfort (Allemagne), le 19 mai 2023.

Quelque deux cents invités de marque sont attendus mercredi 24 mai dans l’imposante tour de la Banque centrale européenne à Francfort. Le temps d’une soirée de gala, Christine Lagarde, sa présidente, célébrera le 25e anniversaire de l’institution, recevant notamment le chancelier allemand, Olaf Scholz, et au moins cinq ministres de l’économie des pays de la zone euro. Tout ce beau monde doit se régaler de poisson et de tarte à la mangue.

Derrière les festivités, pourtant, la BCE traverse une période difficile. Sa mission officielle est de maintenir l’inflation à 2 % sur le moyen terme en zone euro. Or, celle-ci est actuellement… de 7 % sur un an, après avoir atteint un pic à plus de 10 %. Dans ce contexte, une petite musique de fond est en train d’émerger : à la sortie de la pandémie, la BCE a commis une grave erreur en laissant filer l’inflation.

« En 2021, la BCE dormait au volant, accuse Mathieu Savary, chef stratégiste à BCA Research. Mais elle n’était pas seule, l’erreur a été collective, commise par toutes les grandes centrales, y compris la Fed et la Banque d’Angleterre. »

L’aveuglement de l’époque

Vendredi 19 mai à Londres, Mervyn King, ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre (2003-2013), portait le même jugement sévère lors d’une conférence. « Pendant vingt-cinq ans, les banques centrales ont réussi à maîtriser l’inflation. Mais, aujourd’hui, l’inflation sous-jacente [hors énergie et alimentaire] tourne autour de 5 %-6 % partout, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en zone euro. Il y a clairement eu une sérieuse erreur. 

Relire les discours d’il y a deux ans illustre l’aveuglement de l’époque. En décembre 2021, alors que l’inflation était déjà de 5 %, Mme Lagarde se voulait extrêmement rassurante : « Je vois l’inflation comme une bosse. Celle-ci a clairement augmenté depuis trois trimestres. (…) Mais elle finira par passer. On prévoit que l’inflation baissera en 2022. »

L’erreur a continué pendant de longs trimestres. Tous les trois mois, les services de la BCE publient leurs prévisions d’inflation : en septembre 2021, ils anticipaient 1,7 % pour 2022 ; en décembre 2021, ils revoyaient leur prévision à 3,2 % ; en mars 2022, à 5,1 % ; en juin, à 6,8 % ; en septembre, à 8,1 % ; en décembre, à 8,4 %, ce qui sera finalement le chiffre définitif.

L’origine de l’erreur remonte à la pandémie. Quand les gouvernements ont confiné, fermant d’un coup les économies, il a fallu financer d’urgence les aides sociales et les salaires des gens qui restaient chez eux. Face à la panique des marchés, la BCE a annoncé un plan d’achats de dette, intitulé « Pandemic Emergency Purchasing Programme » (PEPP), initialement de 750 milliards d’euros. L’intervention a mis fin à la panique financière et permis aux gouvernements d’emprunter à taux nuls, voire négatifs. « Cette intervention était bien sûr nécessaire, mais le confinement n’a duré que quelques mois, alors que les dépenses ont duré bien plus longtemps », souligne Florian Ielpo, directeur de la recherche macroéconomique à Lombard-Odier, un groupe suisse de gestion d’actifs.

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