
Le gonflage de bulles réserve encore des surprises, comme le racontent Marc Grosjean et Elise Lorenceau, du laboratoire interdisciplinaire de physique à Grenoble, dans un article de Physical Review Fluids du 22 mai. Ainsi, en fonction des conditions de soufflage de l’air dans une paille pour obtenir des bulles, certaines tailles seront impossibles à atteindre. Des grosses, voire des très grosses se formeront mais pas des petites. La faute à un phénomène d’instabilité analogue à celui ressenti en soufflant dans un ballon de baudruche : on a beau s’échiner, la membrane élastique résiste et ne grandit plus, jusqu’à ce que, soudain, un seuil soit franchi et que le ballon enfle.
« Les calculs sont en fait plus simples dans le cas d’une bulle dont la membrane n’a pas les propriétés élastiques de celle d’un ballon. Mais le phénomène était peu documenté jusqu’à présent », souligne Elise Lorenceau. Son étudiant Marc Grosjean, à l’époque en master, aujourd’hui en thèse, a donc construit une expérience utilisant une paille raccordée d’un côté à une seringue au volume variable pour pousser l’air et de l’autre à un film de « savon » liquide.
Au début, lorsque l’air arrive, la membrane liquide plate déposée à une extrémité du conduit gonfle régulièrement et la pression du gaz augmente. Il arrive un moment où la membrane forme une demi-sphère de rayon identique à celui de la paille. Cette forme correspond au maximum de pression que peut soutenir l’interface. Cependant, comme de l’air continue d’arriver, la taille de la bulle augmente et dépasse cette forme critique hémisphérique. Ceci a pour effet de dilater le gaz qui se détend dans la bulle augmentant encore plus son volume… « C’est comme une cocotte-minute, il faut libérer du gaz et cela passe par une augmentation soudaine du volume de la bulle pour rééquilibrer les pressions », résume Elise Lorenceau.
Une expérience très simple
En cinq millisecondes, la taille peut passer d’un millimètre, le rayon de la paille, à presque cinq, ont observé les chercheurs. Mais ce « saut » n’est pas toujours présent. Cela dépend, essentiellement, de la taille de la seringue et donc du volume de la réserve d’air en amont de la bulle. S’il est trop petit, le gonflement est régulier et toutes les tailles de bulles seront permises. Mais s’il est trop grand, l’instabilité apparaît et seules des grosses bulles se forment.
« Maintenant, si on nous demande comment faire des bulles d’une certaine taille, on saura répondre, note Elise Lorenceau. Auparavant, beaucoup d’expériences cachaient leur manque de contrôle de cet aspect. » Or, l’enjeu n’est pas anodin. Des systèmes, dits microfluidiques, faits de minuscules canaux dans lesquels circulent des fluides, ont besoin de créer des petites gouttes ou des bulles pour emprisonner des réactifs chimiques, les transporter, les faire réagir… à des fins d’analyse ou de production. La présence d’instabilité dans ces mini-réservoirs est donc gênante.
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