Transition écologique : l’angle mort du coût pour les classes populaires

Le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire, aux côtés du ministre délégué à l’industrie Roland Lescure (à gauche) et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires Christophe Béchu, prononce un discours lors de la présentation du projet de loi sur l’industrie verte au ministère des finances, à Paris, le 16 mai 2023.

Quel discours politique tenir sur la transition climatique pour convaincre les citoyens à la fois de l’urgence et de l’efficacité à agir ? En publiant, lundi 22 mai, avec l’inspectrice générale des finances Selma Mahfouz, un rapport sur « les incidences économiques de l’action pour le climat », l’économiste Jean Pisani-Ferry n’a pas simplement chiffré avec précision le coût colossal de la transition écologique (de 250 milliards à 300 milliards d’euros de dette supplémentaire à l’horizon 2030) : il a aussi fourni des données pour aborder politiquement et socialement ce défi. « On peut entraîner les citoyens, mais il faut un plan à l’échelle du problème, et dans lequel les efforts sont bien partagés », a-t-il expliqué au Monde, en plaidant à la fois pour un recours massif à l’endettement et pour une contribution fiscale des plus aisés.

Ce travail est d’abord une pierre dans le jardin des tenants de la « croissance verte ». En expliquant que l’objectif de neutralité carbone va induire un « choc économique négatif », les auteurs battent en brèche le discours du gouvernement. Lequel ne cesse de répéter que sa politique en matière d’écologie apporterait un supplément d’innovation, de nouveaux emplois et, donc, plus de richesse. Rien de tout cela dans le rapport de M. Pisani-Ferry, du moins dans la décennie à venir. Le remplacement de technologies brunes par des technologies vertes, non pas au nom d’une meilleure efficacité de ces dernières mais pour le bien de la planète, devrait même peser sur la croissance, de l’ordre d’un quart de celle-ci.

De l’autre côté, les auteurs mettent en doute l’argument souvent brandi par les mouvements écologistes et les partis de gauche, qui prétendent que, en conjuguant décroissance et contribution financière des plus riches – par exemple à travers un impôt sur la fortune climatique –, la transition pourrait être indolore pour le plus grand nombre. « Ceux pour qui la transition sera la plus contraignante, car elle porte sur des besoins essentiels (se loger, se transporter, se nourrir), ce sont les classes populaires. Le coût économique correspondant ne sera accepté que si (…) les sacrifices sont équitablement répartis [entre tous]», met en garde M. Pisani-Ferry. Or, à niveau de revenus égal, la transition aura des conséquences très différentes selon le type de logement ou encore la zone de résidence (notamment selon la dépendance à la voiture individuelle).

Interdire certains modes de transport ?

Xavier Ragot, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques, et contributeur du rapport, va plus loin. « Pour une partie de la gauche, la transition écologique est abordée à travers le prisme d’une société plus juste et d’un chômage plus faible, estime l’économiste. Avec la taxation sociale et écologique, elle pense pouvoir résoudre deux problèmes en même temps. Mais, en faisant de l’“impôt de solidarité sur la fortune vert” l’alpha et l’oméga de la transition, les efforts nécessaires pour entraîner les classes moyennes et populaires sont en partie occultés. » Va-t-il falloir interdire certains modes de transport ? Réduire la vitesse sur les routes ? Abandonner la construction de zones pavillonnaires au nom du « zéro artificialisation nette », ce principe fixé pour lutter contre l’étalement urbain ? Autant de changements de modes de vie et de comportement, dont le financement n’est que l’un des aspects, et pour lesquels les classes moyennes et populaires seront les premières concernées.

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