Attaque au couteau à Annecy : Abdelmasih H. mis en examen pour tentatives d’assassinats

Des personnes se rassemblent devant l’aire de jeux pour enfants où l’attaque s’est produite jeudi matin, à Annecy, le 9 juin 2023.

Alors que sa garde à vue s’achevait samedi 10 juin, deux jours après l’attaque au couteau contre des jeunes enfants à Annecy, le suspect Abdalmasih H. a été mis en examen pour « tentatives d’assassinats » et « rébellion avec armes » après avoir été déféré devant deux juges d’instruction, a annoncé la procureure de la République, Line Bonnet-Mathis. L’homme, qui a également été présenté à un juge des libertés et de la détention samedi matin, a été placé en détention provisoire. Il n’a pas souhaité s’exprimer devant les juges, selon la procureure.

Jeudi, la magistrate avait estimé que ses motivations semblaient dépourvues de « mobile terroriste apparent », ajoutant ne pouvoir « exclure à ce stade un acte insensé ». Depuis son interpellation, l’assaillant âgé de 31 ans n’a donné aucune explication et fait « obstruction à la garde à vue », notamment en se « roulant par terre ». Il est en outre « totalement mutique », avaient déclaré des sources proches de l’enquête à l’Agence France-Presse (AFP).

Sans domicile fixe

« La folie est une excuse trop facile, c’est important de savoir qu’il est auditionné et qu’on ne le considère pas simplement comme quelqu’un de délirant », a commenté vendredi soir le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin. « Il a sans doute une motivation que les enquêteurs vont essayer de comprendre », a-t-il dit sur BFM-TV. « Même s’il n’y a pas d’audition, les investigations se poursuivent », notamment « pour établir sa personnalité, son parcours, ce qu’il a fait depuis qu’il est en France », a précisé une source proche de l’enquête.

Né en 1991, Abdelmasih H. a quitté la Syrie après le déclenchement de la guerre civile qui a éclaté dans son pays, en mars 2011. Mobilisé dans l’armée, il avait déserté pour partir en Turquie, selon sa mère, où il avait rencontré sa future femme, syrienne comme lui. Le couple serait parti pour la Suède en 2013, où il a obtenu l’asile politique en novembre de la même année.

S’il a bénéficié d’une « protection subsidiaire » en Suède depuis novembre 2013 et disposait d’un titre de séjour valable jusqu’en 2025, Abdelmasih H. a plusieurs fois échoué à être naturalisé suédois, contrairement à son épouse. Il a quitté la Suède avant de recevoir la réponse à sa dernière demande de naturalisation, « il y a huit mois », selon sa femme, dont il a divorcé et avec qui il a eu un enfant, aujourd’hui âgé de 3 ans.

Selon les autorités françaises, il voyageait en situation régulière en France. Raison pour laquelle la police l’a laissé repartir après l’avoir contrôlé dimanche dernier parce qu’il se lavait dans les eaux du lac d’Annecy, selon le ministre de l’intérieur.

L’homme avait déposé des demandes d’asile en Suisse, Italie et en France, où son dossier a été rejeté tout récemment. « Notification lui a été faite qu’il ne pouvait pas avoir l’asile en France, car il l’avait en Suède », a détaillé jeudi le ministre. Interrogé sur le lien entre le refus de la demande d’asile et le passage à l’acte de l’agresseur quatre jours plus tard, M. Darmanin a évoqué une « coïncidence troublante ».

Lors d’un rare échange avec son ex-femme après son départ, Abdalmasih H. lui a expliqué qu’il vivait « dans une église » en France. C’était il y a quatre mois. A Annecy, il était sans domicile fixe. Selon le directeur général de l’Office française de l’immigration et de l’intégration (Ofii) Didier Leschi, « il bénéficiait de l’allocation pour demandeur d’asile depuis qu’il s’était enregistré comme tel » mais, faute de place, « n’a jamais été pris en charge au titre de l’hébergement dans le dispositif national d’accueil ».

Un employé des pontons du lac d’Annecy a confié au quotidien régional Le Dauphiné Libéré l’avoir vu sur un banc au bord du lac, « chaque jour du matin au soir qu’il fasse beau ou mauvais », depuis environ deux mois. Il décrit un homme « qui marmonnait dans sa barbe », sans agressivité apparente.

Selon sa mère, Abdalmasih H. souffrait d’une « grave dépression » et ses échecs pour obtenir un passeport suédois ont aggravé son état. « C’est ma belle-fille qui m’a dit ça », a-t-elle précisé à l’AFP. « Elle disait qu’il n’était jamais bien, toujours déprimé, avec des idées noires, il ne voulait pas quitter la maison, il ne voulait pas travailler… » Au moment du drame, il n’était « ni sous l’emprise de stupéfiant ni sous l’emprise d’alcool », selon la procureure d’Annecy.

Abdalmasih H. portait une croix chrétienne et a dit en anglais la phrase « Au nom de Jésus Christ » au moment de l’attaque. Dans sa demande à l’Ofpra, il se présentait comme un « chrétien de Syrie », selon une source policière. Le Parquet national anti-terroriste (Pnat) ne s’est pas saisi de l’affaire, une évaluation de l’agression étant toujours en cours.

La fillette néelandaise « hors de danger »

Peu après 9 h 30 jeudi aux abords des jardins de l’Europe, un parc très fréquenté situé sur les rives du lac d’Annecy, l’homme a agressé au couteau un groupe d’enfants sur une aire de jeu. Selon différents témoignages, il a ensuite tenté de s’enfuir, blessant un homme dans sa fuite, avant d’être interpellé par des policiers qui ont ouvert le feu, touchant à cette occasion un adulte déjà blessé par l’agresseur.

Les quatre enfants, âgés de 22 mois à 3 ans, restent hospitalisés, plus aucun n’est en urgence vitale, a détaillé la procureure samedi matin. La fillette néerlandaise est « hors de danger », selon le ministre des affaires étrangères des Pays-Bas.

L’attaque, qui s’est produite en public et en plein jour, a profondément traumatisé Annecy, ville habituellement paisible. Choquées, des centaines de personnes ont défilé toute la journée de vendredi et samedi matin devant la petite aire de jeux, le lieu de l’attaque, pour se recueillir et déposer des fleurs.

Le Monde avec AFP