
« Quand on parle à quelqu’un, on ne lui demande pas sa pièce d’identité ou son numéro fiscal… » Impassible, presque indifférent, Rainer Kensy von Echlin s’explique sur ses relations avec un certain « Karl Widmer ». Ce Suisse aurait selon lui été sa source. Il lui aurait transmis des listings et des relevés bancaires d’évadés fiscaux à remettre aux administrations françaises. Mais les enquêteurs n’ont jamais pu l’identifier, finissant par douter de son existence.
Ce n’est donc pas ce mystérieux M. Widmer mais bien Rainer Kensy von Echlin qui a comparu, mardi 6 juin, au tribunal correctionnel de Paris pour « faux », « tentative d’escroquerie » et « dénonciation calomnieuse », en compagnie de son ancien avocat, Jacky Petitot, accusé lui de « tentative d’escroquerie ».
Cette affaire débute en 2015 lorsque Me Jacky Petitot, avocat au barreau de Grasse (Alpes-Maritimes) et exerçant à Strasbourg, contacte la direction générale des finances publiques (DGFIP) pour lui transmettre des informations sur des contribuables français ayant des comptes en Suisse. Trois banques sont, selon lui, impliquées : UBS, Hottinger et Julius Baer. C’est finalement la direction nationale d’enquête fiscale (DNEF) et le Parquet national financier (PNF) qui recevront les documents début 2016. Au total, selon ces listings, 3 200 Français sont concernés. Parmi eux, les enfants d’un ancien ministre du budget, des milliardaires et des célébrités. « Une fraude fiscale apportée sur un plateau », ironise le juge Guillaume Daieff à l’audience.
Vaste mascarade
Ce qui semble de prime abord être un scandale d’évasion fiscale se révèle rapidement être une vaste mascarade. En échange des documents, Me Petitot aurait exigé une rémunération de la part de l’administration française. Ce que la DNRED refuse, la rémunération des aviseurs fiscaux étant interdite depuis 2004. D’autant plus qu’après un second contrôle des documents, l’administration se rend compte que ceux-ci sont falsifiés. Une enquête ouverte par le PNF est classée sans suite en février 2017.
Ce feuilleton semble clos jusqu’en novembre de la même année, lorsque deux cartons sont déposés anonymement devant la rédaction de Mediapart. Les journalistes y trouvent 4 000 documents bancaires. Après l’espoir d’un nouveau scandale financier vient la désillusion : les relevés sont faux. Un mois plus tard, Mediapart révèle l’affaire dans la presse et une enquête est ouverte par le parquet de Paris.
A l’origine des documents transmis, la justice identifie Rainer Kensy von Echlin. Ce banquier allemand de 62 ans a travaillé dans des banques du monde entier… en passant par la Suisse. Sur sa tablette, les enquêteurs ont retrouvé un document comportant une version modifiable des relevés transmis aux autorités françaises, ainsi que des informations concernant des imprimantes industrielles. Du matériel qui aurait pu être utilisé pour produire les 4 000 feuilles livrées à la rédaction de Mediapart.
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