Derrière la question des abayas, la crise aiguë d’un lycée marseillais

Devant l’entrée du lycée Victor-Hugo de Marseille, lors d’une journée de mobilisation contre la réforme des retraites, le 7 février 2023.

17 heures, jeudi 8 juin, devant le lycée Victor-Hugo dans le 3e arrondissement de Marseille. Dans le flot des élèves qui sortent de cours, quelques jeunes filles s’arrêtent dans le sas gardé par d’imposants barreaux et fermé par une porte de métal. Là, elles prennent quelques minutes pour remettre leur voile et, pour certaines, enfiler une abaya, cette longue robe musulmane, sortie de leur sac. « A l’intérieur, les surveillants nous mettent la pression avec ça », glissent deux élèves de 2de, désormais voilées, qui repartent aussi sec.

Au même moment, dans l’établissement, le recteur de l’académie d’Aix-Marseille, Bernard Beignier, et ses principaux collaborateurs rencontrent les personnels. Une visite d’urgence pour tenter d’apaiser la crise majeure qui bouleverse depuis plus de dix-huit mois ce lycée dont les élèves viennent presque exclusivement de quartiers populaires de Marseille.
Le 1er juin, les barreaux du sas d’entrée n’ont servi à rien quand une cinquantaine de personnes, menée par des responsables syndicaux CGT et SUD, se sont introduites dans le lycée, jusqu’au bureau du proviseur.

Un coup de force pour, dit un des leaders de l’action, « dénoncer la répression syndicale » – après le licenciement, en mai, d’un surveillant, membre de la CGT, et qui s’est soldé par trois interpellations. Le paroxysme d’une tension qui pourrit le quotidien des 1 500 élèves, divise les 140 professeurs dont certains regrettent « le délai de réaction du rectorat ». Et pèse sur une équipe administrative décimée par les arrêts maladie.

« Lutte politico-syndicale »

« Bien sûr que le sujet des abayas existe dans notre lycée comme ailleurs à Marseille. Mais, aujourd’hui, ce n’est pas central dans nos problèmes », glisse un membre du personnel, qui, comme les autres, requiert de toute force l’anonymat. « Cette histoire d’habits religieux a été instrumentalisée. Notre lycée est devenu le terrain d’une lutte politico-syndicale », se désole une enseignante, qui se dit « traumatisée d’être traitée de raciste », alors qu’elle a spécifiquement choisi cet établissement.

Au printemps 2022, le non-renouvellement des contrats de plusieurs assistants d’éducation (AED), dont certains encartés à la CGT, envenime le climat à Victor-Hugo. La révélation par Mediapart, le 4 mai, d’un enregistrement du nouveau proviseur ajoute à la crise. Dans cet extrait, le chef d’établissement explique à des élèves qu’il ne veut pas qu’elles restent « à la maison avec dix gamins à faire le couscous, le tajine, ou les samoussas ». Des paroles qui choquent enseignants et lycéens et se retrouvent diffusées sur des tracts devant le lycée. Jeudi 8 juin, selon nos informations, le proviseur s’est excusé d’avoir tenu ces propos devant ses collègues et le recteur.

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