
Enseignante à l’école vétérinaire de Toulouse, Fabienne Delfour étudie depuis trente ans la vie des cétacés, tant en captivité que dans leur milieu naturel. Le livre qu’elle vient de publier, Dans la peau d’un dauphin (Flammarion, 320 pages, 22,90 euros), nous incite à nous départir de nos convictions pour mieux comprendre la richesse de « leur » monde.
Vous invitez les lecteurs à une « expérience dolphinienne du monde ». En quoi cela consiste-t-il ?
J’ai voulu faire changer le lecteur de perspective quand il regarde l’océan. Le sortir de ses habitudes, de ses clichés et le faire entrer dans le corps, dans la tête et dans le cœur d’un dauphin. Je me suis appuyée sur mon expérience de chercheuse et sur les nombreux travaux scientifiques qui ont été conduits par mes collègues depuis des années, loin des interprétations romantiques et fantasmées que l’on se fait de l’animal.
Commençons donc par le corps. En quoi celui-ci façonne-t-il son expérience du monde ?
Ce qui caractérise le dauphin, c’est son incroyable adaptation au milieu aquatique, dans lequel le son se propage beaucoup mieux que dans l’air. Expert en acoustique, il peut produire et analyser trois types de sons : des clics d’écholocalisation dont il utilise la réflexion pour s’orienter et trouver ses proies ; des sons pulsés avec lesquels il entretient ses relations sociales, notamment le ressenti positif ou négatif de ce qu’il éprouve ; enfin, des sifflements qui jouent de nombreux rôles, parmi lesquels celui de s’identifier auprès de ses congénères. Ce sifflement-signature porte la marque de son clan.
Une sorte de nom, donc. L’accompagne-t-il d’un prénom ? Pardon pour cet anthropomorphisme…
Oui, ce sifflement porte une singularité propre à chaque individu. Des chercheurs américains ont montré que, en fin de gestation puis au moment de la naissance des bébés, les femelles produisent leur signature sifflée de façon particulièrement abondante. Le petit va reproduire le sifflement de la mère. Mais, comme il est malhabile, il modifie un peu ce son. La mère entretient alors ce changement, qui va lui permettre ensuite de l’identifier, lui et lui seul. On assiste donc à une coconstruction de la signature par la mère et l’enfant.
Qu’en est-il des autres sens – la vue, l’odorat, le toucher, le goût ?
Le toucher est essentiel. On observe chez les dauphins de nombreux contacts, y compris des caresses, qui leur permettent d’entretenir leurs liens sociaux. Il y a davantage de débats sur l’odorat : la génétique nous indique qu’il est actif, mais on manque encore de travaux comportementaux tout à fait probants. En revanche, la capacité des dauphins à déceler des substances chimiques dans l’environnement ne fait aucun doute : ainsi les dauphins mâles goûtent-ils l’urine des femelles afin de déterminer à quel stade de leur cycle elles se trouvent et si elles sont en état de se reproduire. Ils utilisent également la vision, dans l’eau comme dans l’air, même si elle est moins efficace que la nôtre. Enfin, ils profitent d’un sixième sens, une perception électromagnétique, qu’ils semblent utiliser notamment dans leurs activités de chasse.
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