Le 20 juin au soir, le luxe a pris un nouveau tournant sur le Pont-Neuf : celui de l’« entertainment » pur – histoire de booster encore les revenus. Décryptage.
Par Gilles Denis

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Une émeute ? Une naumachie ? Un spectacle musical ? Une superproduction faisant passer Cecil B. de Mille pour un amateur ? Un défilé de mode ? Sans doute un peu de tout cela : les premiers pas de Pharrell Williams chez le numéro un mondial du luxe le 20 juin devaient marquer un tournant de l’industrie, réussir un de ces coups de tonnerre dont Pietro Beccari, PDG de la Maison, et le créateur démiurge sont férus.
Mission accomplie avec un événement hors norme et une offre jouant des codes de la Maison. Cela sent la martingale gagnante… ou comment augmenter ses revenus lorsque votre chiffre d’affaires est déjà supérieur à 20 milliards d’euros…
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Quand la mode devient du show-business
Pharrell Williams avait promis plus qu’un défilé. Les invités n’ont pas été déçus, entre arrivée en bateau sur le Pont-Neuf dont les pavés repeints en or formaient le motif Damier ; accordéon et champagne ; jeux de lumière partant de l’hôtel Cheval Blanc (propriété de LVMH) et du siège de Louis Vuitton ; chœur de gospel et orchestre symphonique interprétant une bande-son créée par Pharrell Williams avec au clavier le plus grand pianiste vivant, Lang Lang, passant inaperçu – ou presque – au milieu de l’agrégation de célébrités.
Si les Obama n’avaient pas, contrairement à la rumeur, fait le déplacement, l’affiche allait de la fine fleur du business – de la famille Arnault à Remo Ruffini – à Naomi Campbell via Kim Kardashian, mais aussi mine de rien Beyoncé et Rihanna – arrivée très en retard, elle s’est installée discrètement avec son compagnon Asap Rocky, au milieu de la presse française.
Ajoutez les créateurs Nicolas Ghesquiere, Jonathan Anderson, Nigo, Camille Micelli ou le légendaire Stefano Pilati, défilant pour sa part ; repérez Leonardo DiCaprio en mode incognito qui, refusant le carré VIP surchargé, dansa en casquette et masque lors du concert de Jay Z après le défilé où Pharrell poussa lui-même de la voix ; et le tour est joué pour le premier show de l’ère de l’entertainment fashion. En sortant, nombre d’invités s’amusaient à en calculer le coût – jeu impossible pour une martingale gagnante…
Damiers et variations pour toutes et tous
Depuis sa nomination, Pharrell Williams avait égrainé les indices sur les réseaux sociaux, affolant ses followers, traquant ici un nouveau blouson, là autre chose qu’un tee-shirt blanc. La tension est montée le jour même du show avec des images du studio de création et du maître des lieux en total look de biker, ou arborant seulement un blouson de cuir, reprenant les codes et peaux iconiques de la Maison, du Monogramme au Damier, via le Tonga, l’ensemble clouté de messages et de la signature de Pharrell.
Une manière de poser littéralement sa patte, au-delà du logo. Le défilé lui-même déployait une offre allant du tailoring au sport, alternant éléments autobiographiques – l’allure dandy du maître des lieux – et « Damouflage » – une déclinaison du Damier en camouflage. Et d’assurer le développement produit de pièces usant des savoir-faire, codes et techniques emblématiques de Vuitton. Qui a dit smart ?
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Un Keepall, des Keepalls et tout le reste
Pharrell Williams n’est pas un amateur – mieux qu’un designer, il sait très bien se positionner comme client –, une posture qu’il revendique même. Et puis, il a l’intelligence de la marque : il sait où il est et ce qu’on attend (aussi) de lui. Première cible donc : les accessoires et leurs codes. Lancés avant même le show par la campagne mettant en scène Rihanna enceinte, le Keepall, mais en version colorée, transformant le sac de voyage en sac tout court qu’hommes et femmes s’arracheront – l’empreinte de Pharrell Williams sur la maison et ses revenus va s’étendre évidemment au-delà même de l’univers masculin et transcender les genres – Pharrell Williams n’hésitait d’ailleurs pas à faire défiler nombre de modèles féminins…
Si le prix de cette nouvelle version n’est pas encore connu, rappelons que le modèle de base débute autour de 2 000 euros – et beaucoup plus pour les collectors. Ajoutez une bonne dose d’autres icônes – comme les trunks mis en place par Virgil Abloh ou le Speedy ; déclinez en Monogramme et en Damier. Marquez le coup en amenant en buggy des malles sur le Pont-Neuf. Agitez. Cela a le goût de la hype. Les revenus frémissent déjà d’entrain…
Flirter avec l’art en développant l’esprit de collection
L’esprit de collection ? Une notion à entendre littéralement, au premier degré. Pharrell Williams n’a pas dévoilé une collection comme les autres. En jouant des références, de la personnalisation et de la mise en scène, les vêtements ne sont plus des vêtements, mais des objets à collectionner qui disent le goût de Pharrell Williams, et donc le goût de l’époque.
Mieux, leur valeur culturelle est garantie : la preuve avec la vente organisée par Sarah Andelman, la veille du show, d’autres objets imaginés par Pharrell dans d’autres moments et d’autres lieux. Ou comment célébrer les nouvelles noces du luxe, de la culture et de la hype. C’est une manière de révolution copernicienne qui s’est opérée, la mode reprenant à son compte les codes du luxe qu’elle avait un moment « prêtés » au monde de l’art contemporain, entre happenings, séries limitées et collaborations avec les artistes. La mode reprend le lead. Cela n’a pas de prix.
Source: lepoint.fr