
Les abandons d’animaux ont augmenté, au cours du premier trimestre 2023, de 15 %, et la Société protectrice des animaux (SPA) – dont les refuges atteignent désormais les limites de leurs capacités d’accueil – s’en inquiète. Les abandons ont toujours été nombreux, car l’animal dit « de compagnie » n’est encore, pour beaucoup de gens, qu’un objet destiné à les distraire. Séduits d’autant plus facilement qu’on peut l’acheter aujourd’hui, comme n’importe quel autre objet, sur Internet, ils jouent un temps avec lui, puis s’en lassent. Ce compagnon devient alors pour eux encombrant, comme le sont toujours les objets qui ne procurent plus de plaisir.
D’autres personnes, cependant, abandonnent leur bête alors qu’elles ne la considèrent pas comme un objet, au contraire. Elles aiment les animaux, rêvent d’en avoir un, et réalisent un jour leur rêve, mais sans évaluer au préalable les conséquences qu’aura dans leur vie la présence de l’un d’eux. Et il se passe alors avec lui ce qui se passe dans certaines histoires d’amour entre humains, quand elles affrontent l’épreuve du quotidien. Celui-ci révèle peu à peu des aspects de l’être aimé que l’on n’avait pas imaginés, et qui dérangent ; la vie en commun devient pesante, le rêve se brise, on se sépare.
Ces abandons-là continuent à être légion, mais ceux sur lesquels la SPA alerte aujourd’hui ne sont pas de cet ordre, puisqu’ils coïncident avec l’inflation et sont donc très probablement, pour la majorité d’entre eux, des abandons par nécessité. On ne choisit pas d’abandonner son animal ; on est contraint de le faire parce que l’on n’a plus les moyens de le nourrir, et de le soigner. Et, dans ce cas, la séparation est, comme toutes les séparations imposées, un arrachement.
Un arrachement qui nous semble avoir sa place sur ce « Divan du monde », car il s’inscrit dans le lot des violences psychologiques que notre société fait subir, par les conditions de vie qu’elle leur impose, à de plus en plus de gens. Des violences qui les atteignent – on ne le répétera jamais assez – beaucoup plus profondément qu’on ne le croit ; mais qui atteignent aussi tous ceux qu’elles ne frappent pas directement. Car elles participent, que l’on en soit conscient ou non, d’un climat général de dureté et d’absence d’humanité, peu propice au « bonheur » et au « bien-être » que l’on ne cesse pourtant de nous vanter par ailleurs.
Pourquoi devoir abandonner un animal que l’on aime est-il violent ?
Il n’est pas rare d’entendre, dans les cabinets des psychanalystes (comme dans beaucoup d’autres) des phrases comme : « Vous allez trouver cela stupide, mais, à la mort de mon chien (mon chat), j’ai souffert autant que si j’avais perdu quelqu’un de mon entourage. » Des phrases souvent énoncées avec gêne, car, la nature et l’importance du lien qui unit un être humain à un animal étant mal évaluées, ceux qui voient ce lien se rompre ont du mal à parler de leur souffrance, à lui accorder une légitimité. Et, plus encore, à envisager que ce qu’ils vivent puisse mériter le nom de deuil.
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