Cryptos : avec « The Merge », la blockchain Ethereum prépare son Big Bang

C’est une révolution copernicienne. Après plusieurs années de préparation, la blockchain Ethereum s’apprête à procéder, aux alentours du 15 septembre, à une mise à jour cruciale de son fonctionnement. Un événement « attendu depuis 7 ans », souligne-t-on chez Ethereum France.

Ses enjeux sont considérables. « A l’heure actuelle, Ethereum sécurise près de 400 milliards de dollars de valeur, que ce soit des ethers, des stablecoins (cryptos convertibles en devises) ou bien des NFT (jetons non fongibles). La mise à jour d’un réseau aussi important est donc très critique », analyse Stanislas Barthélémi, consultant blockchain chez KPMG France, qui place l’opération dans le top 5 des événements les plus importants de l’écosystème crypto depuis la création du bitcoin, en 2009.

Preuve d’enjeu

L’opération, baptisée « The Merge » (« La fusion » en français) consiste à changer la méthode que la blockchain utilise pour valider ses transactions. Jusqu’ici, Ethereum a utilisé, tout comme la blockchain Bitcoin, la preuve par le travail (« proof of work » en anglais). Le 15 septembre, Ethereum va basculer vers la preuve d’enjeu (« proof of stake »).

La méthode de la preuve par le travail consiste à mettre en compétition des milliers de valideurs, appelés « mineurs », qui doivent résoudre des équations cryptographiques avant tous les autres. Lorsqu’ils y parviennent, ils contribuent au bon fonctionnement de la blockchain en validant les transactions, et sont rémunérés pour cela en cryptomonnaies.

Réputée très efficace, cette méthode de consensus est cependant régulièrement critiquée en raison de la quantité astronomique d’énergie nécessaire à son fonctionnement. Car les mineurs mettent en place de gigantesques infrastructures et font tourner de jour comme de nuit des ordinateurs très puissants pour effectuer les calculs. On estime que le fonctionnement actuel d’Ethereum nécessite entre 94 et 112 Twh d’électricité par an, soit l’équivalent de la consommation électrique d’un pays comme les Pays-Bas.

Réduire la consommation énergétique

La méthode de la preuve d’enjeu, elle, est beaucoup moins gourmande en énergie. Elle consiste à tirer au sort des valideurs volontaires disposant d’ethers, la monnaie native d’Ethereum, et de leur confier le travail de validation. Ce protocole évite ainsi que plusieurs valideurs travaillent sur la même transaction.

Pour participer au processus de validation, les valideurs devront déposer sous séquestre 32 ethers (un ether vaut actuellement environ 1.700 dollars). « Les valideurs bloquent de la valeur afin d’être tirés au sort pour participer à la sécurisation du réseau », résume Stanislas Barthélémi. Une partie de ce dépôt pourra être saisie par Ethereum si le valideur tente de corrompre la blockchain. Un système punitif appelé « slashing ».

Selon une estimation de la fondation Ethereum, le passage à la preuve par enjeu pourrait réduire la consommation énergétique de la blockchain de 99,95 %. Un chiffre jugé assez réaliste par les experts blockchain de chez KPMG. « The Merge » devrait donc attirer dans l’écosystème Ethereum des sociétés désirant utiliser des protocoles compatibles avec les critères ESG et, ce faisant, combler son retard en la matière vis-à-vis de blockchains concurrentes comme Solana .

Opération périlleuse

Avant même le lancement d’Ethereum en 2015, les fondateurs avaient déjà prévu un passage à la preuve d’enjeu. Le processus a commencé en décembre 2020, avec le lancement de la « Beacon Chain », une blockchain parallèle fonctionnant déjà avec ce mécanisme, et sur laquelle les développeurs d’Ethereum ont pu effectuer avec succès des tests sans toucher à la blockchain principale. Près de 420.000 valideurs sont déjà actifs sur cette blockchain parallèle.

Mi-septembre, les deux blockchains vont donc fusionner, d’où le nom de « The Merge ». Un processus à haut risque. « Il y a peu de chance que l’opération capote », juge toutefois Stanislas Barthélémi de chez KPMG. « Elle a déjà été simulée une quinzaine de fois. Cela rend les acteurs d’Ethereum plutôt confiants. » Coinbase, la plus importante plateforme de cryptos américaine, a tout de même décidé de suspendre « brièvement » les dépôts et retraits des cryptos tournant sur Ethereum le temps de la mise à jour.

Décentralisation accrue

Actuellement, environ 5 entités concentrent à elles seules 65 % des capacités de minage d’Ethereum. « La mise à jour permettra à des particuliers de faire de la validation avec du matériel assez basique », explique Jérôme de Tychey, le président d’Ethereum France et PDG de Cometh, un studio de jeux vidéo fonctionnant sur la blockchain. « The Merge » permettra donc davantage de décentralisation, avancent les développeurs de la blockchain.

La multiplication des valideurs individuels devrait ainsi rendre beaucoup plus compliquées les attaques informatiques de grande ampleur. Ethereum France estime que corrompre la blockchain est 1.000 fois plus onéreux avec la preuve d’enjeu qu’avec la preuve par le travail.

Pas une panacée

Si l’opération est très attendue, elle ne règle pas tous les problèmes pour Ethereum. « The Merge » ne l’aidera pas par exemple à augmenter le nombre de transactions qu’elle peut traiter en même temps. « Actuellement, Ethereum est en mesure d’effectuer entre 20 et 30 transactions par seconde. L’autre enjeu, c’est de passer à plusieurs milliers de transactions par seconde », explique Stanislas Barthélémi.

« The Merge » ne réduira pas non plus les frais de transactions sur Ethereum. Ces derniers sont réputés pour être relativement élevés par rapport aux blockchains concurrentes.

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