« La gauche est attaquée et le RN se normalise »

Frédérique Matonti (1) Professeure de science politique à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne

L’accord à gauche avec la Nupes a-t-il accentué sa diabolisation par la droite et l’extrême droite ?

L’accord Nupes a suscité une réaction, de la part de la droite – dont LaREM – et de l’extrême droite, qui ressemble beaucoup aux logiques anticommunistes d’il y a quelques années. Des offensives d’autant plus brutales et caricaturales que cet accord était inattendu et a permis de redonner de l’espoir à gauche. Le prix à payer, c’est cette virulence, qui prend régulièrement des formes caricaturales. On l’a vu, ces dernières semaines, avec les polémiques sur les tenues vestimentaires à l’Assemblée ou autour de personnalités ciblées comme Louis Boyard, Mathilde Panot ou Sandrine Rousseau. Des mécanismes de réactions systématiques, très violentes, se sont mis en place. La tentative de discréditer ou de casser la Nupes est à la fois idéologique, même s’il y a des caricatures, et stratégique. Tout le monde pense déjà à 2027, c’est court un quinquennat. Donc la droite ne va pas relâcher ses attaques. L’accord à gauche a accentué une réaction, qui prenait déjà beaucoup d’ampleur depuis 2017, et dont l’une des résultantes est le renforcement du poids du RN.

Il y aurait donc un mécanisme de vases communicants entre la diabolisation de la gauche, et la normalisation de l’extrême droite ?

Le coup de force du RN aux législatives avec 89 députés élus est une des conséquences de la banalisation des idées et du discours de l’extrême droite. Et il y a désormais une capacité qu’elle impose son agenda médiatique et politique. La polémique sur le karting en prison est très symptomatique d’un débat public faussé : l’extrême droite identitaire lance l’affaire, tout le monde embraye y compris le ministre de la Justice, et on ne parle pas du vrai sujet, qui est le délabrement des prisons. Le discours de gauche devient inaudible ou disqualifié. Et on pourrait citer d’autres exemples avec une extrême droite qui lance une polémique sur la gauche avant que la droite suive. Donc, mécaniquement, le RN se normalise et la gauche est attaquée. C’est visible également à travers la bataille autour du terme « républicain ». Le mot est utilisé pour dire tout et n’importe quoi, et manié par la droite pour définir qui est digne ou non de figurer dans le jeu politique. Or, dans cette nouvelle législature, c’est régulièrement la gauche et la France insoumise en particulier qui sont accusées d’être « hors du champ républicain », rarement le RN. Les nominations du bureau de l’Assemblée nationale avec des postes importants donnés au RN le symbolisent.

Quelle attitude doit adopter la gauche face à ces attaques ?

D’abord, le fait que l’accord tienne est un bon signal pour la gauche et pour ses électeurs. Certains éditorialistes et beaucoup de représentants de la majorité espèrent la division de la Nupes et l’attendent presque avec gourmandise. Mais, finalement, jusqu’ici il y a peu de dissensions. Et les parlementaires de la Nupes font globalement front face aux offensives de la droite. Reste que si la gauche veut être présente en 2027, voire avoir des chances de l’emporter, elle doit continuer à avancer, notamment en matière programmatique. Elle doit se montrer capable de parler à la fois aux catégories populaires et aux minorités, et surtout de dépasser cette fausse opposition. Elle doit surtout intéresser à la politique ceux qui s’en détournent, à commencer par les plus jeunes.

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