Il faut toujours lire les romans de Gilles Boyer. Dans les fictions du député européen Horizons, qui est aussi le plus proche conseiller d’Edouard Philippe, se dissimule-t-il, ici ou là, un peu de vrai? S’y cache-t-il des clés permettant de mieux décrypter les personnalités, les manières de fonctionner des acteurs de la scène politique actuelle ? La nuit russe (éditions JCLattès) n’échappe pas, c’est peu de le dire, à cette – ludique – grille de lecture, même si en exergue l’auteur a bien pris garde de mentionner que ce texte est « le pur produit de son imagination ».
Ce roman est le troisième de Gilles Boyer, qui a également signé deux polars avec l’ancien Premier ministre. Cette fois, il s’agit de l’histoire d’un duo (!) qui gravite au cœur du pouvoir sur fond d’affaire d’espionnage. Hugo et Stan sont amis d’enfance. Le premier est en pleine lumière : c’est un homme politique qui ne manque pas d’ambition. Le second préfère l’ombre : il est son plus proche collaborateur dans cette ascension. « Ils semblaient se compléter en tout comme deux pièces d’un puzzle, Hugo charismatique, Stan ombrageux, Hugo créatif, Stan rigoureux, Hugo chef de bande, Stan en retrait, Hugo volubile, Stan taiseux[…] Ils avaient en partage bien des passions, l’histoire, la politique, les matchs de foot et les séries télé qu’ils regardaient ensemble, les livres qu’ils se prêtaient et dont ils se parlaient ensuite », décrit l’auteur, qui ajoutera quelques pages plus loin : « Hugo voyait d’abord l’opportunité, et Stan voyait d’abord l’impossibilité. »
Tout se complique quand Hugo devient ministre de la Défense. Stan, son conseiller auprès – « un titre aussi obscur pour le monde extérieur que prestigieux pour le microcosme », écrit-il – , est alors approché par un haut fonctionnaire russe, qu’il a croisé à l’occasion d’études à Moscou dans ses jeunes années. Ce dernier lui demande de lui fournir des informations sensibles sur une livraison d’armes que la France s’apprête à décider en faveur de l’Ukraine, sinon il diffusera une vidéo compromettante pour lui… Stan va-t-il céder et trahir son meilleur ami, avec qui la règle est pourtant de tout se dire ? Un véritable engrenage se met en place, où le doute s’insinue partout.
L’intrigue, bien menée, se déroule en partie au ministère de la Défense, mais aussi à Matignon. Cela tombe bien : le député européen connaît bien ces deux lieux du pouvoir
Rouages. Dans ce thriller, on sent que Gilles Boyer s’amuse. Il sait notamment particulièrement bien manier l’art du cliffhanger digne des séries télés (il est d’ailleurs en compagnie du maire du Havre en train de travailler sur l’adaptation de leur polar L’heure de vérité, sorti en 2007). L’intrigue, bien menée, se déroule en partie au ministère de la Défense, mais aussi à Matignon. Cela tombe bien : le député européen connaît bien ces deux lieux du pouvoir. Il a fréquenté le premier auprès d’Alain Juppé et le second d’Edouard Philippe. Il en livre donc moult précisions, comme sur les rouages de la machine étatique, du chemin des parapheurs aux procédures d’habilitation au secret-défense. Malicieux, il fait son miel d’une histoire tombée dans les oubliettes : celle de Günter Guillaume, collaborateur de Willy Brandt, l’ex-chancelier de la RFA, qui était en fait un espion à la solde de la RDA…
Au fait, un détail : Edouard Philippe a été le premier à lire La nuit russe signée de son ami. Celle-ci était encore à l’état de manuscrit, c’est-à-dire que toutes les modifications du roman étaient encore possibles. L’ex-Premier ministre a conseillé à Gilles Boyer de ne pas le remanier…
« La nuit russe », de Gilles Boyer, éditions JC Lattès, 224 pages, 18 euros.