La « valeur travail », un concept vendu par la droite ? Là où l’on s’attendrait à entendre plus traditionnellement la gauche, les parlementaires LR ont joué cet été leur partition dans ce qui est véritablement une offensive idéologique de longue date. Les macronistes, qui ont ainsi trouvé un allié de poids, ne sont pas en reste sur le sujet : « Le président a été clair sur la priorité absolue donnée au travail dès cet été », rappelait son ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, fin juillet. Alors que le pays connaît une période d’inflation jamais vue depuis des années, cette alliance de l’été a permis de vendre des mesures économiques et sociales prétendument au nom du monde du travail. La recette a fait ses preuves. Déjà, en 2007, Nicolas Sarkozy s’était fait élire en vantant le « travailler plus pour gagner plus ».
En 2022, soutenus par LR dans les votes, Emmanuel Macron et son gouvernement ont rejoué la même musique dans un épisode supplémentaire de la « valeur travail » à leur sauce. Quitte à y aller au culot, tel le député LaREM Jean-René Cazeneuve, qui interpellait la gauche lors de l’examen du budget rectificatif le 4 août. « Quant à nos collègues socialistes et communistes qui, il y a encore quelques années – un siècle pour eux – défendaient la valeur travail, pourquoi ne soutiennent-ils pas ce texte qui permet, quand l’entreprise et les salariés sont d’accord, d’augmenter le pouvoir d’achat de ces derniers par la monétisation de leurs RTT ou par des heures supplémentaires ? » interrogeait le parlementaire pour défendre ce qui est en réalité une attaque en règle contre les 35 heures.
Au Sénat, LR n’était pas en reste. C’est également au nom de la « valeur travail » que la droite, qui domine la Chambre haute, a justifié la suppression de la prime de rentrée de 100 euros aux allocataires des minima sociaux. Les auteurs de l’amendement affirmaient vouloir « recentrer l’aide sur les travailleurs pauvres plutôt que les bénéficiaires des minima sociaux qui ne travaillent pas. La valeur travail doit être encouragée », ont-ils insisté. Pour le coup, le gouvernement avait émis un avis défavorable à cet amendement qui prive quelque 4 millions de foyers pauvres de ce très modeste coup de pouce…
En réalité, en opposant allocataires des minima sociaux et salariés, la droite évite le point principal du débat : la répartition des richesses entre capital et travail. Lorsque Bruno Le Maire clame que « le travail doit payer », il se contente ensuite de demander gentiment aux entreprises d’augmenter les salaires sans aucune mesure contraignante en la matière. Le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Boris Vallaud, dénonce en fait « une forme de ruse défavorable au travail. Au lieu de cultiver la valeur travail, la droite l’abîme. C’est un marché de dupes, alors qu’on a besoin de parler de partage des richesses ». « Ils défendent le capital, la rente, pas le travail », abonde également l’insoumis Antoine Léaument. En défiscalisant les heures supplémentaires et en instaurant le rachat de RTT, rappelle le député de l’Essonne, « la droite et la majorité prennent en réalité dans le portefeuille des salariés » : les « baisses de charges » représentent une « baisse de pouvoir d’achat », car « le salaire socialisé c’est du salaire ». « La droite aime le travail des autres payé au lance-pierre. C’est le propre de la bourgeoisie », constate cinglant le porte-parole du PCF, Ian Brossat.
en jeu, la répartition des richesses produites
Bien que la gauche ait mené le combat au sein de l’Hémicycle, montrant la supercherie, la droite est parvenue à faire passer ces mesures. Car, plus largement, c’est une contre-offensive idéologique que la Nupes doit mener si elle compte reprendre le dessus sur ces questions. « Le parti du travail, c’est la gauche », assure Boris Vallaud. Alors comment peut-elle démonter cette offensive et le « marché de dupes » de la droite qui risque de se prolonger tout le quinquennat ? « Il faut continuer à enfoncer le clou sur le pouvoir d’achat », prévient Ian Brossat. « Nous devons continuer en avançant des arguments simples », estime également Boris Vallaud. Ce qui est en jeu, c’est la question de la répartition des richesses produites entre capital et travail. « Redistribuer les richesses, augmenter les salaires, c’est non seulement bon sur le plan social mais aussi sur le plan économique. Ça peut relancer la machine », assure le député socialiste. « Le pouvoir d’achat, c’est un des marqueurs de la campagne de Fabien Roussel, mais aussi de celle des législatives pour la Nupes, rappelle Ian Brossat. Ce sont des sujets qui non seulement nous rassemblent à gauche, mais font partie de son ADN. » Le dirigeant communiste juge que, contrairement à la « valeur travail » défendue par la droite, celle de la gauche « suppose une réorientation des politiques économiques », au-delà même de la seule question des salaires, en particulier sur les aides aux entreprises et le partage du pouvoir avec les salariés en leur sein.
La défiscalisation menace la sécurité sociale
Et pour mieux faire valoir ces arguments, la gauche compte aussi sur des mobilisations, quitte à les susciter elle-même. « C’est notamment parce qu’ils ne veulent rien entendre que nous appelons à une marche contre la vie chère au mois d’octobre. C’est une manière de porter le débat hors de l’Assemblée nationale, et d’y imposer la question des salaires », pointe Antoine Léaument. Le député insoumis considère par ailleurs qu’un autre débat apparaît derrière celui sur la « valeur travail » : la menace d’un « sécucide » selon ses propres mots, que font courir les mesures de défiscalisation des heures supplémentaires et des rachats de RTT. « Ils vont tarir les financements de la Sécu, et entraîner des réformes augmentant le recours aux assurances privées. » Enfin, derrière le « marché de dupes » porté par la droite sur cette question du travail, les responsables de gauche dénoncent la complicité du RN : « À rebours de ce qu’ils disaient durant la campagne électorale, les députés de Marine Le Pen ont voté contre l’augmentation du Smic », souligne le parlementaire de l’Essonne. Preuve supplémentaire, s’il en fallait une, que l’extrême droite n’a jamais réalisé de mue « sociale » en faveur des travailleurs, mais se pose en allié de poids du patronat…