Au moment où le rail s’impose comme une arme essentielle pour limiter les émissions de carbone, des milliers de voyageurs pestent devant les panneaux d’affichage des gares qui annoncent des retards ou des annulations de trains. « On marche à l’envers », résume l’un d’eux dans l’enquête du Monde publiée samedi 15 octobre « Les TER, trains fantômes des Hauts-de-France », qui décrit un réseau régional à la dérive et décrypte les causes de ce chaos.
Trains annulés par milliers au dernier moment, retards en cascade, longs trajets debout dans des rames bondées. L’enfer que vivent les usagers des TER, dans les Hauts-de-France comme dans d’autres régions, se compte en temps gâché, en vie familiale désorganisée, en emplois perdus, en rendez-vous manqués.
Mais la rage qui saisit ces voyageurs, l’épuisement physique et nerveux occasionné nourrissent aussi un sentiment de relégation et de maltraitance qui fait le jeu de l’extrême droite. D’autant que cette situation vécue au quotidien suscite peu d’intérêt auprès des responsables politiques nationaux. Comme si les TER, utilisés par des ouvriers, des employés et des lycéens qui n’ont guère les moyens ou la possibilité de trajets en voiture, sombraient dans l’indifférence générale.
Longtemps la ponctualité et la fiabilité des trains de la SNCF ont constitué des fiertés nationales. On mesure aujourd’hui les dégâts causés par la politique du « tout TGV » et la dégradation du réseau « ordinaire » consécutif à un sous-investissement chronique depuis des décennies. Mais la situation affligeante des TER résulte aussi du saucissonnage de la SNCF – entre les sociétés chargées du réseau, les gares et les voyageurs – et du transfert de la responsabilité politique et du financement – mais pas de la gestion des trains – aux régions.
Scandaleuse opacité de la SNCF
Complexe, illisible, opaque, cette organisation alimente la bureaucratie et dilue les responsabilités. Ni le non-respect des horaires, ni la scandaleuse opacité de la SNCF sur les retards et les suppressions de trains ne résultent directement de la « libéralisation » du rail : tous les partenaires des TER sont des entités publiques ou à capitaux publics. Mais le chaos enduré par les voyageurs résulte notamment des restructurations opérées pour ouvrir le rail français à la concurrence.
Alors que le double contexte de l’urgence climatique et de la prise de conscience des dangers de la dépendance énergétique bouscule bien des schémas établis, notamment quant au rôle de l’Etat comme garant des services et des biens publics, l’enjeu stratégique que constitue le transport public ferroviaire régional suppose au minimum de remédier au dysfonctionnement du couple SNCF-régions. L’arrivée d’opérateurs concurrents – souvent d’autres sociétés parapubliques – ne saurait, en soi, aller dans ce sens si l’Etat lui-même ne prend pas ses responsabilités.
Car la débâcle des TER résulte, au-delà des considérables enjeux d’organisation, du vieillissement des infrastructures et de l’inadaptation du réseau à l’intensification de la demande. « Au rythme actuel, il faudrait quarante-cinq ans pour moderniser tout le réseau », estime le patron de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, qui réclame un investissement supplémentaire de l’Etat destiné à rattraper le retard sur nos voisins européens.
Laisser se poursuivre l’actuelle dégradation du service sur les lignes régionales n’est pas une option. L’objectif consistant à offrir à chaque Français une alternative ferroviaire fiable à la voiture, chaque fois que c’est possible, doit être érigé en priorité nationale.