Nous avons rencontré Maksim, 42 ans, Olga, 37 ans, et leurs sept enfants – âgés de 18 mois à 13 ans –, à leur arrivée à Paris, le 5 avril. Il était midi, leur train partait pour Toulon à 15 heures ; le temps de poser leurs sacs à dos et d’arpenter Paris. Sous les cerisiers en fleur du Jardin des plantes, la famille pose pour la photo : « Nous l’avons fait ! » Mais la guerre a laissé des traces : un voile dans le regard, les larmes discrètes d’un enfant. Dans la rue, Olga enseigne aux plus grands quelques mots de français : « bonjour », « au revoir », « merci », « Paris c’est beau ». Comme un encouragement à aller de l’avant. Aujourd’hui, c’est depuis Toulon qu’ils nous reparlent.
« LES TROUPES RUSSES SONT ARRIVÉES LE DEUXIÈME JOUR : il y avait des chars dans la rue centrale, on entendait des tirs, on voyait les missiles dans le ciel, c’était terrifiant. Nous venons de Dymer, un village à une cinquantaine de kilomètres au nord de Kiev. La guerre, jusqu’au dernier moment, nous n’y croyions pas. Pendant quelques jours, nous nous sommes cachés dans le sous-sol de notre maison, mais la pièce est très petite, et les enfants n’arrivaient pas à dormir. Ni électricité ni eau ; nous utilisions celle du puits dans notre jardin. Par la suite, nous nous sommes installés dans une pièce sans fenêtre dans la maison : nous dormions sur des matelas au sol, tout habillés, avec nos chaussures et nos blousons à côté, au cas où il faudrait fuir. Nous avions peur tout le temps, car les tirs étaient incessants la nuit, et, dès le matin, on voyait passer les avions, qui volaient bas en direction de Kiev.
Nous pouvions sortir, mais c’était risqué. A chaque tir, les enfants se jetaient par terre. Une semaine après le début de la guerre, une bombe est tombée sur la maison de nos voisins, un couple de personnes âgées. Elle est morte sur le coup, et lui a été grièvement blessé. Mon mari Maksim et d’autres l’ont enterrée à la hâte dans un potager. Le lendemain, ils lui ont confectionné un cercueil de fortune et l’ont accompagnée jusqu’au cimetière, avec notre prêtre. Tout le monde avait très peur, car la route passait par un checkpoint, qui était tenu par les soldats russes, mais ils les ont laissés passer.
Nous avons vécu plus d’un mois sous occupation russe. Puis Anna, la plus petite, est tombée malade : nous ne savions pas quoi faire, il n’y avait plus de médicaments, nous avions très peur. Nous avions vu des gens partir à pied, et nous avons décidé de prendre le risque nous aussi. Nous sommes partis, au matin du 31 mars, et nous avons marché jusqu’à la rivière Irpine, à 7 kilomètres. Ce que nous avons vu en chemin était terrifiant : des immeubles détruits, un cratère causé par un bombardement, des maisons vides, des voitures cabossées, abandonnées en l’état par les Russes, qui les avaient réquisitionnées au début de la guerre. On nous avait conseillé de bien marcher au centre de la route, pour éviter d’éventuelles mines ou d’autres engins explosifs sur les côtés.
Le pont qui franchissait la rivière a été détruit pour empêcher les Russes de passer, et nous avons traversé sur un ponton en bois. Sur l’autre rive, les bénévoles ukrainiens qui nous ont accueillis nous ont dit que les Russes avaient quitté la ville à l’aube. On nous a ensuite conduits jusqu’au village voisin, pour y être enregistrés, avant de prendre un bus pour Kiev. Nous n’avions aucune idée du sort qui avait été réservé à ceux qui étaient partis avant, et nous avions très peur d’être pris pour cibles sur le trajet. Arrivés à Kiev, nous avons pris un train pour Oujhorod [un trajet de plus de 800 kilomètres]. Nous avons traversé la frontière slovaque à pied, et là, des amis ukrainiens, qui avaient fui avant nous, nous ont aidés. Nous avons pu passer la nuit chez eux et nous reposer un peu.
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