Comment les tribunaux gèrent-ils l’afflux des affaires de violences conjugales qui arrivent dans les prétoires ces dernières années ? Quels sont les circuits efficaces pour répondre à ce contentieux massif – en 2021, 208 000 victimes de violences conjugales ont été enregistrées par les forces de l’ordre ? La question mobilise les législateurs et l’exécutif : les députés viennent de voter en première lecture une proposition de loi – accueillie avec scepticisme par les magistrats et les avocats – créant des juridictions spécialisées en la matière, sur le modèle espagnol, associant « les pouvoirs du juge civil et du juge pénal » au sein d’« un tribunal des violences intrafamiliales placé dans le ressort de chaque cour d’appel ». En parallèle, une mission parlementaire, mandatée par la première ministre Elisabeth Borne, réfléchit à des formes plus souples telles que la généralisation de pôles spécialisés, composés de magistrats formés, dans chaque tribunal.
Sur le terrain, des magistrats n’ont pas attendu pour revoir leurs organisations. Pour comprendre les nouveaux aménagements et réflexions en cours, Le Monde s’est rendu à Bobigny et à Châlons-en-Champagne. Deux juridictions aux tailles et profils différents, chacune à sa façon engagée dans le traitement de ces affaires.
A Châlons-en-Champagne, un comité de pilotage avec tous les acteurs
Dans une petite salle du tribunal de Châlons-en-Champagne, une quinzaine de personnes sont réunies, en cette mi-décembre, pour évoquer les situations d’urgence en matière de violences conjugales. Cette réunion ayant lieu tous les deux mois et demi réunit des magistrats du siège et du parquet, des représentants des forces de l’ordre (police et gendarmerie) et du service de probation et d’insertion pénitentiaire, les associations qui accompagnent les victimes, le directeur de la maison d’arrêt.
L’exposé que leur déroule Camille Chabannes, la substitute de la procureure, illustre la variété et la complexité des situations de violences conjugales auxquelles est confronté au quotidien le monde judiciaire. Par exemple : « Monsieur est sorti de prison et, malgré l’interdiction de contact avec la victime, les forces de l’ordre sont intervenues quelques jours après, alertées par les voisins, et les ont trouvés ensemble. A leur arrivée, Madame a dit que c’était juste une dispute et les policiers sont repartis » (ces faits, comme ceux des cas suivants, ont été légèrement modifiés dans un souci d’anonymat).
Autre cas : « Le couple a plusieurs enfants, Monsieur a exécuté plusieurs peines notamment pour violences. A sa sortie [de prison], le couple s’est remis ensemble, et la dame a demandé la révocation du bracelet antirapprochement et la main levée de l’ordonnance de protection. » Ou encore : « Il y a une mesure d’assistance éducative en cours et, apparemment, Monsieur a proféré des menaces de mort contre la mère par l’intermédiaire de l’enfant. Il y a une interdiction de contact et le Téléphone grave danger de Madame a été renouvelé. On a de nombreux classements sans suite pour des menaces et du harcèlement »…
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