Dire la vérité sur l’immigration

La décision française de réduire le nombre de visas accordés aux ressortissants algériens, marocains et tunisiens, en septembre 2021, avait été annoncée avec tambour et trompettes : face à la mauvaise volonté des Etats du Maghreb pour réadmettre sur leur territoire des nationaux expulsés de France, Paris tapait du poing sur la table en annonçant que la moitié des demandes algériennes et marocaines de visas serait désormais rejetée (au lieu de 40 % pour l’Algérie et de 20 % pour le Maroc), le taux de refus aux Tunisiens passant, lui, de 20 % à 30 %. L’exécutif français, mis en cause sur sa droite pour un faible taux d’exécution des décisions de reconduite à la frontière (14,4 % en 2019), dégainait pour la première fois publiquement l’arme des visas.

Nettement plus discrète a été, à la mi-décembre, l’annonce de la volte-face française : la ministre des affaires étrangères, Catherine Colonna, et le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, ont usé, respectivement à Rabat et à Alger, de la même expression sibylline – « restaurer une relation consulaire normale » – pour annoncer la fin brutale de la politique de resserrement des visas et le retour aux pratiques antérieures.

Le recul de la France, alors qu’aucun chiffre précis attestant d’une meilleure acceptation des reconduites à la frontière n’a été rendu public, met en lumière une réalité que le sociologue Abdelmalek Sayad a amplement analysée : la question de l’immigration ne peut être considérée – et a fortiori gérée – indépendamment de celle de l’émigration, autrement dit, des relations avec les pays d’origine. Alors que, dans le monde entier, les migrations sont l’objet de marchandages diplomatiques, cette donnée de fait, souvent passée sous silence dans nos polémiques hexagonales, mériterait d’être davantage prise en compte.

« Faire du chiffre »

Il se peut que le revirement français n’ait qu’un rapport lointain avec les questions de migrations. Dans chaque pays visé, les restrictions sur les visas ont nourri de vives critiques contre la France. Or, dans un contexte de montée des sentiments antifrançais en Afrique et de risque de décrochage des pays émergents du bloc occidental, Paris a pu faire prévaloir ces dernières préoccupations, fondamentales, sur l’arithmétique des reconduites à la frontière. Les autres sujets bilatéraux (Sahara occidental, gaz, etc.), tout comme la difficulté de céder au Maroc sans en faire autant pour l’Algérie, ont pu aussi peser. L’équation ne peut se résumer à un simple marchandage entre visas et expulsions, car les relations entre la France et ses anciennes possessions, marquées par la présence d’importantes communautés d’origine maghrébine, ressortissent à la fois de la politique étrangère et des affaires intérieures.

Le défaut de coopération des pays du Maghreb sur les expulsions constitue un réel problème et des pressions doivent s’exercer sur un plan européen. Mais faire croire à l’opinion que des solutions simples existent en la matière – comme l’arrêt de l’aide au développement – revient à la tromper. A la veille de l’examen par le Parlement du projet de loi sur l’immigration, le gouvernement, qui a imprudemment fait du taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) le principal indicateur de l’efficacité de sa politique migratoire, devrait tirer les enseignements de son échec avec le Maghreb : concentrer les OQTF sur les personnes dangereuses au lieu de « faire du chiffre », et parler vrai en rappelant que les questions d’immigration trouvent rarement des réponses purement nationales.

Le Monde

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