Mardi 6 décembre, sur une petite hauteur aux confins de la région de Kherson, dans le sud de l’Ukraine, un cimetière ceint d’un petit muret en béton, figé par le froid et le vent, semble avoir été oublié par le temps. Dans la campagne couverte de neige, la guerre résonne au loin du son des lance-roquettes russes qui visent le territoire ukrainien. Mais, ce jour-là, à cet endroit, se joue un autre combat, celui du droit. Un adjoint du procureur de Kherson, Dmitro Chechenko, un médecin légiste, Igor Motritch, quatre policiers et deux membres de la défense territoriale procèdent à l’exhumation de deux corps dans le cadre d’une enquête sur la mort, le 5 mars, d’Anna Manzirokha, 38 ans, et de son cousin Guennadi Vengrenovski, 52 ans. De quoi documenter les futures poursuites contre la Russie pour crimes de guerre.
Voilà plus de huit mois, dix jours après le début de l’offensive russe sur l’Ukraine du 24 février, la voiture où ont pris place Anna et Guennadi, au volant, quitte la voie rapide qui relie Kherson à Mykolaïv. Ils tournent à gauche dans la Lada rouge de Guennadi en direction du village où Anna est attendue par son mari Sacha, sa fille de 20 ans et son fils de 12 ans. Dans le chaos de la guerre, elle a pris sa décision : il lui faut partir à l’étranger, avec ses enfants, comme des millions d’autres femmes sont alors en train de le faire dans le pays. Dans un premier temps, elle vient au village retrouver sa famille, et c’est son cousin qui l’emmène. En chemin, aux abords du village de Nadiezdhivka, sur une ligne droite, rapporte l’envoyé du procureur, « leur véhicule a croisé un convoi de chars et des soldats russes ont ouvert le feu sans raison ».
Ils sont mortellement touchés. Les témoins ont indiqué aux enquêteurs que des soldats russes enivrés jouaient au ball-trap avec les voitures de civils circulant sur la route. Celle d’Anna et de Guennadi roulait avec trois autres véhicules qui sont parvenus à s’échapper. Personne n’osera approcher de la scène de crime pendant deux jours, laissant les corps sans vie dans la Lada criblée de balles. Des membres de la famille finiront par aller les chercher. Peu de temps après, un char russe aplatira la voiture sous ses chenilles et la poussera dans le fossé où elle gît toujours, vestige d’exactions sur lesquelles la justice entend faire la lumière. On distingue encore plus d’une cinquantaine d’impacts de gros calibres et les marques des chenilles sur la tôle compressée.
Manipulation impossible des corps
« Il nous faut examiner les corps pour déterminer les causes exactes de la mort », poursuit le procureur adjoint qui a fait venir Sacha, le mari d’Anna. C’est lui, avec un ami, qui déterre le cercueil de sa femme enfoui sous près de deux mètres de terre. Alors qu’il creuse, on aperçoit, au loin, les maisons dispersées du hameau de Nova Zorya que beaucoup de gens ici appellent « Armian », à cause de la forte communauté arménienne qui y réside.
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