Au Maroc, « le capitalisme de rente joue contre l’émergence »

Najib Akesbi est un économiste marocain, spécialiste des stratégies de développement, des politiques agricoles et fiscales du Maroc, ainsi que des relations euroméditerranéennes. Son dernier ouvrage, Maroc : une économie sous plafond de verre (Revue marocaine des sciences politiques et sociales), synthétise ses travaux et interventions depuis quatre décennies. Dans cet essai, il analyse les raisons de l’échec des promesses de l’économie marocaine, qu’il dépeint comme « engluée dans la rente et les conflits d’intérêts, l’affectation malavisée des ressources, la dépendance et l’endettement ».

Malgré ses atouts et ses réussites, le Maroc est encore loin d’être une puissance économique émergente et la conjoncture ne pousse guère à l’optimisme. Après un rebond de 7,9 % en 2021, la croissance est tombée à 1,1 % en 2022, selon la Banque centrale du Maroc. Vous faites la démonstration que le pays reste caractérisé par son « mal-développement ». Pourquoi ?

Le Maroc ne répond à aucun des critères des pays dits émergents. Sur les vingt dernières années, la croissance est plutôt faible, autour de 3,5 %. Il faudrait un taux d’au moins 7 % en moyenne pendant une quinzaine d’années pour atteindre le niveau de PIB par habitant d’un pays émergent. La croissance est par ailleurs volatile, rythmée par les évolutions du PIB agricole lui-même soumis aux aléas climatiques. Nous sommes en janvier et personne ne peut dire quelle sera l’année économique 2023 car tout dépendra de la récolte céréalière, donc de la pluie !

Il faut aussi aborder la question de la répartition des richesses. Notre modèle génère de l’exclusion et des inégalités sociales. Nous savons précisément, depuis une enquête du Haut-Commissariat au plan de 2021, à quel point la concentration des revenus est forte : les 20 % de la population « les plus aisés » détiennent 53,3 % des revenus des ménages, contre 5,6 % pour les 20 % « les moins aisés ». Dans les pays émergents, existe une classe moyenne. Au Maroc, les études montrent qu’elle a tendance à se réduire : c’est une entrave très forte au développement.

Port de Tanger Med, TGV Casablanca-Tanger, parcs industriels et éoliens, barrages… Le pays semble pourtant en pleine expansion…

Le visiteur étranger peut effectivement être impressionné par ces infrastructures modernes, elles sont le symbole que le pays avance. Mais ce n’est que la vitrine. En réalité, une bonne partie de ces investissements sont condamnés à ne pas pouvoir être rentables parce que déconnectés du niveau de vie et des besoins de la majeure partie de la population.

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