Démettre Le Graët de la présidence de la FFF ? Pas si simple…

La ministre française des Sports Amélie Oudéa-Castera a beau appeler de ses vœux le départ de Noël Le Graët, empêtré dans de multiples polémiques et accusations de harcèlements sexuels, ni elle ni le gouvernement français ne peuvent démettre le président de la FFF. Explications.

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Noël Le Graët peut-il encore rester président de la Fédération Française de Football (FFF ou 3F) envers et contre tout, et surtout contre l’avis de la ministre des Sports ? Alors que son mandat court jusqu’à fin 2024, les faits et les statuts de la fédération lui octroient ce droit malgré la pression mise par le gouvernement français. Cependant à terme, il pourrait être contraint de lâcher ses fonctions, grâce à la prise à partie de l’opinion publique. Noël Le Graët a annoncé mardi qu’il convoquait le comité exécutif de la FFF en session extraordinaire mercredi. France 24 fait le tour de la question.

  • Quels sont les reproches faits à Noël Le Graët ?

Comportements inappropriés, déclarations hors-sol sur l’homophobie ou l’équipe de France féminine, harcèlements sexuels, gouvernance solitaire… La liste des griefs envers Noël Le Graët, 81 ans, est longue. Cependant, ce sont ses propos à l’emporte-pièce sur Zinedine Zidane qui ont provoqué une réaction épidermique de l’opinion publique et d’une partie du football français.

« Je ne l’aurais même pas pris au téléphone », a-t-il lâché à propos de « Zizou », considéré comme l’option n°1 à la tête de l’équipe de France en cas de non-renouvellement de Didier Deschamps, finalement prolongé samedi jusqu’en 2026. « Pour lui dire quoi ? ‘Bonjour monsieur, ne vous inquiétez pas, cherchez un autre club, je viens de me mettre d’accord avec Didier’ ? » À une question sur un intérêt supposé du Brésil pour le Ballon d’Or 1998, il a ajouté : « Je n »en ai rien à secouer, il peut aller où il veut, dans un club, il en aurait autant qu’il veut en Europe, un grand club. »

Mais on ne touche pas impunément à « ZZ ». La star des Bleus, Kylian Mbappé, a réagi : « Zidane, c’est la France, on (ne) manque pas de respect à la légende comme ça… », a ainsi écrit sur Twitter l’attaquant du PSG. Les ex-coéquipiers de Zidane en bleu, dont Youri Djorkaeff et Laurent Blanc, ont suivi tout comme une partie de la classe politique.

Les déclarations du dirigeant de la « 3F » ne pouvaient pas tomber plus mal, à l’approche de son audition, mardi 10 janvier, par la mission d’audit diligentée par le ministère des Sports pour éclaircir notamment les pratiques managériales de la Fédération française de football (FFF) alors que Noël Le Graët est déjà secoué par des accusations de « harcèlement » et de comportements « inappropriés » de la part d’ex-salariées, anonymes et qu’il a toujours contestées.

« Du côté du ministère, on insiste sur cet audit qui doit faire la lumière sur son comportement avec les femmes et sa gestion de la fédération », rappelle Nicolas Kssis-Martov, journaliste à So Foot et auteur de « Des terrains de jeux aux terrains de luttes (éd. de l’Atelier). « Il y a en creux la question de ses propos sur l’homophobie, l’équipe féminine, le Qatar. Il présente un visage du football comme une tour d’ivoire à l’abri des remous sociaux et politiques. »

Le témoignage de l’agente de joueurs Sonia Souid sur BFM-TV et publié mardi dans le quotidien sportif l’Équipe a remis une couche sur les faits reprochés : « Il m’a dit en tête-à-tête, dans son appartement, très clairement, que si je voulais qu’il m’aide, il fallait passer à la casserole », affirme-t-elle alors qu’elle souhaitait s’entretenir avec lui, racontant un rendez-vous destiné à promouvoir le football féminin. Évoquant ses interactions professionnelles passées, l’agente explique avoir eu le sentiment « qu’à chaque fois, la seule chose qui l’intéresse, et je m’excuse de parler vulgairement, ce sont mes deux seins et mon cul ». La ministre des Sports Amélie Oudéa-Castera a félicité sur Twitter « Sonia Souid pour le courage de (son) témoignage ».

  • Comment fonctionne la FFF et son Comex ?

Cependant, le gouvernement n’a pas la main sur la personne qui dirige la Fédération française de football. La FFF est en effet à la fois indépendante et reliée en même temps à l’État français. Selon ses statuts, elle est une « association chargée d’une mission de service public déléguée par l’État », une collaboration fixée dans le cadre d’une convention.

En clair, l’État délègue à la FFF la responsabilité d’une bonne gestion du football hexagonal, ses compétitions, ou encore l’équipe de France. En échange, la fédération doit participer aux missions normalement dévolues à l’État comme la réduction des inégalités, le développement durable, la protection de ses licenciés ou encore le rayonnement de la France à travers le football.

Le Comex est l’instance dirigeante du football français. Elle est composée de 14 membres – 12 élu[e]s, dont Le Graët, et deux membres de droit, à savoir le président de la Ligue de football professionnel (LFP) Vincent Labrune, et celui de la Ligue de football amateur (LFA) Vincent Nolorgues. Les quatorze membres de ce gouvernement du football français sont en effet les seuls habilités à pousser Le Graët vers la sortie. 

  • Le pouvoir de l’État français est-il limité ?

« Aujourd’hui, une ministre ne peut pas dégager un président de fédération d’un claquement de doigt. Et heureusement. Mais l’État a un droit de regard et de surveillance notamment sur le respect des statuts », explique Nicolas Kssis-Martov.

Techniquement, le pouvoir politique n’a en effet pas la possibilité de destituer le président de la FFF, ce qui provoquerait par ailleurs l’ire de la Fédération internationale (Fifa) qui prohibe toute intervention étatique.

« C’est cependant un peu plus subtil que ça. Il est évident que l’État a une influence quand il est alerté. Il peut intervenir avec pression sortant du cadre légal », rappelle le journaliste de So Foot.

C’est d’ailleurs la stratégie adoptée par Amélie Oudéa-Castéra : elle prend à partie l’opinion publique pour faire pression sur le Comex, seul organe pouvant décider du départ du dirigeant, tout en avançant sur l’audit qui pourrait mettre en accusation le président.

« Il y a une cassure profonde entre l’opinion publique et Noël Le Graët. L’idée c’est de le pousser à se retirer au nom de l’intérêt supérieur du sport français. Comme cela a été fait pour le rugby il y quelques mois », continue Nicolas Kssis-Martov.

  • Des précédents de menace ou de sanctions de la Fifa ?

La ministre sait qu’elle avance sur un fil dans ses incitations à pousser le Graët vers la sortie. En effet, la Fifa est prompte à menacer les gouvernements se mêlant de trop près des affaires de ses associations membres, en vertu de son article 14. Celui-ci précise que les fédérations ont pour obligation de « diriger leurs affaires en toute indépendance et veiller à ce qu’aucun tiers ne s’y immisce ». « La violation de ses obligations par une association membre entraîne des sanctions […] même si l’ingérence du tiers n’est pas imputable à l’association membre concernée. »

En 2010, peu après le Mondial, la Fifa avait rappelé à l’ordre la ministre française des Sports de l’époque Roselyne Bachelot, qui réclamait des explications sur la débâcle de Knysna et le ridicule de l’équipe de France en grève contre son sélectionneur, en mondovision. En 2018, la Fifa avait menacé l’Espagne d’exclusion du Mondial à venir alors que le président de sa fédération, Angel Maria Villar, était mêlé à un scandale de corruption. La Fifa ne visait pas les faits eux-mêmes mais bien l’intervention du gouvernement espagnol.

Ces dernières années, l’exclusion des compétitions internationales en raison de ce point de règlement a été prononcé contre le Koweit en 2015, ainsi que contre le Tchad et le Pakistan, en avril 2021. Durant l’année écoulée, elle a également agitée la menace contre la Tunisie peu avant la Coupe du monde au Qatar.

Cependant, Nicolas Ksiss-Martov nuance l’inflexibilité de la Fifa : « Si elle comprend que la FFF est au bord de l’implosion, la Fifa est pragmatique et laissera faire. Elle l’a déjà fait par le passé », analyse le journaliste.

  • Quels scénarios pour pousser Le Graët vers la sortie ?

« Tout le monde souhaite qu’il se retire de lui-même », explique Nicolas Ksiss-Martov. C’est le sens des interventions de la ministre Amélie Oudéa-Castéra et des sorties des figures du football français. Cependant, en l’absence d’autocritique du président de la FFF, la ministre fait pression pour que d’autres scénarios soient explorés.

Lors d’une conférence de presse lundi, Amélie Oudéa-Castéra a appelé le Comité exécutif de la FFF à « prendre ses responsabilités ». « Il y au sein du Comex des personnalités éminentes qui ont fait la preuve de leur valeur, de leur efficacité, de leur vision et du sens des responsabilités. Je sais qu’elles en feront preuve à nouveau dans les semaines à venir et qu’elles pourront peser pour remettre cette Fédération sur les bons rails », a-t-elle dit. Pas gagné, sachant que les membres du Comex ont tous été élus sur la liste du dirigeant actuel

En effet, s’il ne démissionne pas, le président de la FFF peut être révoqué de deux manières : via une « assemblée fédérale de la fédération » qui peut « mettre fin au mandat du Comité exécutif avant son terme normal » selon l’article 12 des statuts de la FFF ; ou via une procédure disciplinaire.

Dans les deux cas, il faudrait qu’une partie de ses anciens soutiens se retourne contre lui. Or, l’inamovible menhir a été élu avec 73 % des voix à la tête de la FFF en mars 2021. Cependant, l’espoir est permis : d’après des informations de RMC Sport, le Comex s’agite en coulisses face à la situation devenue « intenable » de son dirigeant. Au point que Noël Le Graët convoqué le comité exécutif en session extraordinaire mercredi matin.