« L’Europe n’est pas prête à l’éventualité d’une crise dans le détroit de Taïwan »

Que ferait l’Europe si la Chine déclenchait une crise militaire dans le détroit de Taïwan ? On peut douter qu’elle parvienne instantanément à une réponse collective aussi ambitieuse qu’au lendemain de l’invasion russe de l’Ukraine.

Pourtant, les Européens sont aujourd’hui plus réalistes quant à la probabilité d’une nouvelle confrontation avec Taïwan. Les plus optimistes, qui il y a peu faisaient valoir l’argument classique du coût astronomique d’une telle aventure, ont compris qu’un tel scénario était désormais de l’ordre du possible. Ils ont pris la mesure de la supériorité du politique sur l’économique dans la Chine de Xi Jinping, et observé ses manœuvres d’encerclement de Taïwan en août 2022. Ils constatent son soutien tacite à l’invasion russe, motivé par une vision partagée de l’ordre international. Hua Chunying, porte-parole de la diplomatie chinoise, ne qualifiait-elle pas récemment la Russie de « force progressiste » s’opposant aux politiques de puissance et à la pratique de l’intimidation ?

Pour l’Europe, le risque géopolitique posé par la Chine ne doit pas se résumer au pire des scénarios. Beaucoup de déclarations américaines anxiogènes appellent à envisager une guerre dès 2023-2024 – période des élections présidentielles à Taïwan – ou en 2027, lorsque l’armée chinoise sera prête.

La grande stratégie de Xi Jinping

Or ces prédictions ne reposent pas sur une connaissance suffisante des intentions de Xi Jinping. Lorsque les Américains prédirent correctement l’invasion russe, ce fut sur le fondement d’interactions directes avec Vladimir Poutine, de l’observation de la disposition des troupes russes et, sans doute, d’interceptions de communications. Il n’y a rien de comparable aujourd’hui qui permettrait d’alerter sur un calendrier d’unification par la force : 2024, 2027, il s’agit là de suppositions quant à la réaction de la Chine au jeu démocratique taïwanais, ou même d’une appréciation générale de la grande stratégie de Xi Jinping. On a vu renseignement plus solide.

En revanche, les scénarios coercitifs n’ont rien de fictionnel. Depuis 2019, l’aviation chinoise mène une politique de présence permanente dans la zone d’identification de défense aérienne de Taïwan et de franchissement régulier de la ligne médiane dans le détroit. Si ces manœuvres préparent une possible offensive, elles cherchent aussi à décourager la société taïwanaise et ses soutiens extérieurs.

Dans le même temps, les éléments de séduction dans la politique taïwanaise de Pékin sont passés au second plan. L’interdépendance est bien là. Les échanges commerciaux entre les deux rives allaient sans doute dépasser en 2022 le record de 188 milliards de dollars atteint en 2021. Mais la dynamique politique autour de l’intégration économique s’est éteinte. Le flux d’investissements taïwanais vers la Chine s’est réduit de moitié ces cinq dernières années. La part de la Chine dans le commerce extérieur taïwanais, certes élevée, diminue – de 25,2 % en 2021 à 22,7 % pour les dix premiers mois de 2022. Une vraie dynamique de diversification s’installe à Taïwan, qui regarde désormais davantage vers le Vietnam, l’Inde, les Etats-Unis et le Japon.

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