Guerre en Ukraine : les mots pour comprendre le conflit, des armes lourdes à la dissuasion nucléaire

Le 24 février 2022, la Fédération de Russie lançait l’invasion de son voisin ukrainien. Le 30 septembre, le président russe, Vladimir Poutine, formalisait l’annexion de quatre territoires de l’est et du sud de l’Ukraine, où des combats intenses se poursuivent. Fortement soutenue par les Occidentaux et galvanisée par le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, l’armée ukrainienne a enregistré plusieurs succès et contraint la Russie à décréter, le 21 septembre, une mobilisation « partielle ».

Les Occidentaux sont-ils cobelligérants ? Qu’est-ce qu’un crime de guerre ? Que sont les armes lourdes livrées à l’Ukraine par ses alliés ? Qu’est-ce qu’un système de défense antiaérienne ? Que signifie la dissuasion nucléaire ? Sous forme de lexique, retour sur les différents enjeux de la guerre en Ukraine.

Donbass, Donetsk, Louhansk

Le Donbass est une région ukrainienne située dans l’est du pays, à la frontière avec la Russie. Il s’agit d’un vaste bassin minier et industriel de plus de 60 000 kilomètres carrés (à peu près l’équivalent de deux fois la superficie de la Belgique). Administrativement, le Donbass est composé des oblasts (régions administratives) de Donetsk et Louhansk.

Depuis le renversement du président ukrainien Viktor Ianoukovitch, en février 2014, le Donbass est au centre d’un conflit armé entre des séparatistes prorusses et Kiev. Les séparatistes ont proclamé une partie de ces territoires « républiques populaires » de Donetsk et Louhansk. Vladimir Poutine a décidé de reconnaître l’indépendance de ces territoires, le 21 février 2022, avant d’officialiser leur annexion, le 30 septembre.

Après de multiples revers militaires, Moscou cherche maintenant à éviter l’humiliation en achevant au moins la conquête du Donbass, où de violents combats sont en cours. Si les forces russes et les séparatistes tiennent la quasi-totalité de l’oblast de Louhansk depuis l’été, l’armée ukrainienne conserve une bonne partie de l’oblast de Donetsk. Les troupes russes y concentrent actuellement la majorité de leurs efforts pour prendre la ville de Bakhmout, devenue un symbole de la guerre de tranchées. Accaparées par la défense de cette zone éminemment stratégique pour le sort du Donbass, les forces ukrainiennes ne peuvent reprendre l’initiative sur d’autres fronts.

Crimée

Bordée par la mer Noire, la Crimée est une péninsule de près de 27 000 kilomètres carrés située dans le sud de l’Ukraine. Comme dans le Donbass, la chute de Viktor Ianoukovitch exacerbe les tendances séparatistes prorusses en Crimée.

Rattachée à la Russie un mois plus tard après un simulacre de référendum – la communauté internationale dénonce une annexion pure et simple –, la Crimée a une charge historique, culturelle et émotionnelle pour le Kremlin que n’ont pas les autres territoires occupés ukrainiens. « Dans le cœur et l’esprit des gens, la Crimée a toujours été une partie inséparable de la Russie », expliquait Vladimir Poutine en mars 2014.

Depuis le début de l’invasion russe, le sort de la péninsule, épargnée par les combats, semblait déconnecté de celui du reste de l’Ukraine. Mais les difficultés rencontrées par l’armée russe et l’attaque, le 8 octobre 2022, du pont de Crimée – attribuée par Moscou aux services de sécurité ukrainiens – ont changé la donne. Désormais, les Ukrainiens semblent déterminés à reconquérir la totalité de leur territoire, y compris la Crimée. Cette hypothèse suscite l’inquiétude de certains alliés de Kiev, soucieux d’éviter un risque d’escalade supplémentaire dans ce conflit.

OTAN

L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) est une alliance politico-militaire créée en 1949 par douze pays – dont le Canada, les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni. L’Alliance atlantique compte aujourd’hui trente pays, qui s’engagent à se protéger mutuellement en cas d’attaque, selon un principe de la défense collective (article 5 du traité de Washington).

Moscou considère que l’OTAN, qui n’a cessé de s’élargir ces trente dernières années, représente une menace. Avant la guerre, il y avait un consensus au sein de l’Alliance pour ne pas intégrer l’Ukraine afin de ne pas froisser la Russie. Après un an de conflit, l’idée n’est plus totalement exclue. La demande d’« adhésion accélérée » formulée le 30 septembre 2022 par le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a cependant peu de chances d’aboutir, dans la mesure où toutes les décisions de l’OTAN sont prises à l’unanimité.

Les Alliés, qui fournissent du matériel militaire ainsi qu’une importante aide financière à Kiev, « sont convenus (…) de continuer de soutenir l’Ukraine aussi longtemps que nécessaire ».

Conséquence directe de l’invasion russe : le 18 mai, la Suède et la Finlande ont officiellement demandé de rejoindre l’OTAN. Ce devait être un processus express. Mais huit mois après que les deux pays ont déposé leur candidature, la politique de la « porte ouverte » de l’Alliance, s’est heurtée à un gigantesque écueil. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, continue de bloquer l’adhésion des deux pays nordiques. A ses yeux, Stockholm et Helsinki doivent d’abord cesser de défendre les militants kurdes réfugiés sur leurs territoires.

Cobelligérant

Un cobelligérant combat avec un autre un ennemi commun, sans pour autant lui être lié par une alliance formelle, ou l’aide à superviser ses opérations militaires. Les Occidentaux le répètent depuis un an : ils ne sont pas des « parties au conflit », selon la formule juridique consacrée, et leur implication militaire directe en Ukraine contre la Russie est exclue. Il s’agit de contenir les combats sur le sol ukrainien, sans pour autant abandonner la population à son sort.

Sur la question des livraisons d’armes, le droit international est assez clair. Un pays n’est pas considéré comme cobelligérant tant qu’il s’en tient à l’envoi ou au financement d’équipements. Même chose pour la formation de soldats. « Assister un pays attaqué par des livraisons d’armes, c’est agir dans le cadre d’une légitime défense collective et cela ne fait pas de ces pays des belligérants », explique au Monde Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique. En revanche, dès lors qu’un pays coordonne ces forces, même à distance, ou planifie des opérations de combat, il devient une « partie » au conflit.

Jusqu’où les alliés peuvent-ils aller ? L’envoi de chars peut être considéré comme un moyen d’aider l’Ukraine à libérer son territoire de l’agresseur. Pourrait-il en être de même avec la livraison de missiles à longue portée, capables de frapper des cibles situées loin sur le sol russe, ou d’avions de chasse ? Il existe aussi des zones grises en matière de renseignement. Les données fournies par les satellites ont-elles une utilité opérationnelle directe ? « La question des seuils n’est pas tranchée par le droit international », confirme Julia Grignon, spécialiste du droit des conflits armés à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire.

« La question, en fait, n’est pas tant de savoir si telle ou telle mesure constitue en soi un acte de guerre (…), mais si elle est susceptible d’être interprétée comme telle par le Kremlin. C’est une étroite ligne de crête », écrivait notre journaliste Marc Semo en mai.

Crime de guerre

En un an, plus de 39 000 crimes de guerre présumés ont déjà été enregistrés sur le site Warcrimes.gov.ua, un « hub informatique » pour les institutions ukrainiennes. Aucun texte de droit ne codifie à lui seul tous les crimes de guerre. La définition de ces crimes découle essentiellement de deux traités internationaux :

  1. Les conventions de La Haye de 1899 et de 1907, qui se focalisent, notamment, sur l’interdiction d’utiliser certains moyens de combat (par exemple, se servir de balles expansives, qui se morcellent dans le corps humain).
  2. Les conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels de 1977, qui protègent les personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités : les civils, les membres du personnel sanitaire, les soldats blessés, etc.

La définition la plus récente de ce qui constitue un crime de guerre est donnée dans l’article 8 du statut de Rome, entré en vigueur en 2002. Les actes prohibés en temps de guerre sont nombreux : torture, destruction de biens non justifiée par des néces­si­tés militaires, déportation, prise d’otages, violences sexuelles, attaques délibérées contre la population civile, tuer ou blesser un combattant ayant déposé les armes, pillage, utilisation de gaz asphyxiants ou toxiques, etc.

Armes lourdes

Il s’agit d’armes ayant une très grande capacité de destruction, comme les canons, les mortiers ou les missiles. Ces armes sont également appelées armes collectives, car elles nécessitent plusieurs personnes pour les utiliser. Les chars (qu’ils soient lourds ou légers), les hélicoptères et avions militaires entrent aussi dans la catégorie des armes lourdes.

Dès le début de l’invasion de l’Ukraine, les Occidentaux ont d’abord livré à Kiev des armements légers, tels que des lance-missiles portatifs. De nombreux équipements lourds sont ensuite venus compléter le dispositif. Parmi ces armes, les lance-roquettes multiples, les armes antiaériennes, les obusiers et les missiles ont joué un rôle-clé dans la réussite de la contre-offensive ukrainienne en septembre.

Après des semaines d’atermoiements, les alliés de l’Ukraine ont décidé, à la fin de janvier, de franchir un cap en acceptant de livrer des chars lourds à Kiev. Au total, l’Ukraine va pouvoir compter sur au moins une centaine de blindés occidentaux. Leur livraison va toutefois prendre du temps. Le patron de Rheinmetall, le fabricant allemand du Leopard 2, a ainsi expliqué qu’il serait impossible de livrer ces chars avant la fin de l’année.

Défense antiaérienne

C’est un autre signe de la montée en gamme de l’armée ukrainienne : les Etats-Unis ont confirmé, le 21 décembre, la livraison d’un système de défense antiaérienne Patriot aux troupes de Kiev. Considéré comme l’un des meilleurs dispositifs de défense antiaérienne des armées occidentales, le Patriot est efficace contre les missiles balistiques et de croisière, dont la Russie fait un usage intensif en Ukraine pour détruire les infrastructures énergétiques.

Cette batterie Patriot vient compléter les précédentes livraisons de matériels de défense sol-air effectuées par les Occidentaux. Au début d’octobre, l’Allemagne a envoyé une batterie de moyenne portée IRIS-T (acronyme d’Infra Red Imaging System Tail/Thrust Vector-Controlled – « système d’imagerie infrarouge contrôlé par poussée vectorielle »). En novembre, les Etats-Unis, l’Espagne et la Norvège ont livré huit systèmes de longue portée Nasams (acronyme de Norwegian Advanced Surface to Air Missile System – « système norvégien avancé de missiles sol-air ») et un nombre indéterminé de batteries de courte portée Aspide. De son côté, la France a envoyé deux batteries de courte portée Crotale.

Selon Kiev, ces matériels, additionnés aux systèmes ukrainiens hérités de l’époque soviétique, permettraient de détruire une partie des projectiles tirés. Dans un entretien publié le 15 décembre par The Economist, le général Valeri Zaloujny, commandant en chef des forces armées ukrainiennes, affirmait que 76 % des drones et missiles russes n’atteignaient pas leur objectif.

Drones « kamikazes »

En Ukraine, la Russie utilise notamment des drones iraniens Shahed-136, des drones « kamikazes », d’une portée de 2 500 kilomètres. Téhéran a reconnu, en novembre, avoir livré ces appareils à Moscou, mais avant le début du conflit. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, considère que l’Iran minimise le nombre d’engins fournis.

Le Shahed-136 est fabriqué par l’Iran Aircraft Manufacturing Industrial Company. De forme isocèle, il mesure 3,50 mètres de long et 2,50 mètres d’envergure, pour un poids d’environ 200 kg. Son nez contient une charge explosive ainsi que les optiques nécessaires à une attaque de précision. Tirés en salves, ces drones peuvent voler à plus de 185 km/h.

Les Russes ont commencé à utiliser les Shahed-136 en septembre pour saper le moral des civils et tenter d’enrayer la contre-offensive dans la région de Kharkiv, dans l’est de l’Ukraine. Ces drones ne peuvent être abattus par les Stinger (missiles sol-air portatifs), fournis par les Etats-Unis, car ils ne sont pas équipés de système de vision nocturne.

Dissuasion nucléaire

La dissuasion nucléaire est une doctrine militaire défensive. Elle se fonde sur la crainte d’une destruction mutuelle en cas d’attaque nucléaire, dans la mesure où celle-ci entraînerait une riposte. Elle repose ainsi sur un équilibre de la terreur.

Jusqu’à présent, la doctrine nucléaire russe prévoyait l’usage d’une telle arme uniquement en réponse à une menace existentielle pour la Russie. En 2018, Vladimir Poutine expliquait que la condition préalable serait la détection par les radars russes du déclenchement d’une frappe nucléaire en direction de son pays.

Mais, depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, la menace d’un recours à l’arme nucléaire est régulièrement alimentée par le chef du Kremlin. Le 24 février 2022, au premier jour de l’agression, il avait menacé ceux qui tenteraient de se mettre en travers de son chemin de « conséquences encore jamais vues ». Il était revenu à la charge, le 21 septembre, en assurant être prêt à utiliser « tous les moyens à [sa] disposition pour protéger la Russie et [son] peuple », se plaçant ainsi dans la posture de l’agressé.

Le président russe est-il prêt à abaisser le seuil de recours à l’arme nucléaire, en considérant comme suffisante une atteinte à son intégrité territoriale – pour peu qu’on accepte l’annexion de quatre territoires de l’est de l’Ukraine ? La définition d’une menace existentielle est donc soumise à interprétation. Faut-il voir dans ces sorties à répétition un outil de galvanisation interne ou des signaux clairs adressés à l’Occident ? L’ambiguïté est maintenue. Face à ces menaces, les Occidentaux, Etats-Unis en tête, se refusent à l’escalade et entretiennent le flou sur la réponse en cas de passage à l’acte.

Groupe Wagner

Il s’agit d’une organisation paramilitaire, formée de mercenaires russes, qui entretient des liens étroits – mais officieux – avec le pouvoir russe. Depuis 2012, cette « armée fantôme » de Vladimir Poutine intervient sur des théâtres d’opérations où Moscou n’a officiellement envoyé se battre aucun soldat : la République centrafricaine, la Syrie, la Libye, le Mali, Madagascar ou encore l’Ukraine, avant même l’invasion par l’armée régulière russe.

Selon Washington, quelque 50 000 hommes de Wagner sont en Ukraine : 10 000 seraient des mercenaires et 40 000 auraient été recrutés dans les prisons russes. D’autres estimations de la BBC font état de 20 000 prisonniers recrutés dans les prisons russes.

En janvier, le Groupe Wagner a joué un rôle important dans la bataille de Soledar, dans l’est de l’Ukraine. Le patron de l’organisation, Evgueni Prigojine, avait affirmé que l’assaut sur la ville avait été mené « exclusivement » par des membres de Wagner. L’armée russe avait salué, quelques jours plus tard, le « courage » de ces combattants, un rare signe de reconnaissance entre ces deux structures souvent rivales.

Le groupe est sanctionné par l’Union européenne depuis 2021 et il est considéré comme une organisation criminelle internationale par les Etats-Unis depuis janvier 2023.

Le phénomène de « raspoutitsa »

Quelles conséquences les saisons ont-elles sur la guerre ? En théorie, la période hivernale ralentit les manœuvres militaires. En Ukraine, la pluie et la boue ont ainsi rendu plus difficiles les déplacements de blindés et de canons, qui laissent par ailleurs des traces au sol, les rendant plus facilement repérables. Malgré leurs chenilles, les chars lourds peuvent eux aussi être entravés par des terrains trop meubles.

Autre élément important à prendre en compte : le dégel du printemps – la fameuse raspoutitsa (« le temps des mauvaises routes ») –, qui avait coupé la retraite de Napoléon en 1812 et arrêté les blindés allemands en 1941. Ce phénomène, qui transforme chaque année les sols ukrainiens en bourbiers, devrait favoriser les forces russes, aujourd’hui essentiellement cantonnées dans des positions défensives.

A noter que l’hiver n’a pas complètement figé la ligne de front – des combats intenses ont lieu dans le Donbass. Cette relative « pause hivernale » devait toutefois permettre à Moscou de régénérer ses troupes et ses matériels. Les Ukrainiens et leurs alliés redoutent désormais une nouvelle offensive d’envergure avant la fin de l’hiver ou au printemps.