A Carnac, au moins trente-huit menhirs détruits pour construire un Mr. Bricolage

Ces petits menhirs « constituaient sans doute l’un des ensembles les plus anciens de France », selon un de leurs fervents défenseurs. Il n’en reste rien. A Carnac, dans le Morbihan, la polémique enfle mercredi 7 juin après la destruction d’au moins trente-huit menhirs, situés sur le site du chemin de Montauban, pour laisser la place à un Mr. Bricolage.

C’est Christian Obeltz, un archéologue amateur, qui donne l’alerte le 2 juin, via un billet de blog repéré par Ouest-France. Publié sur le site de l’association Sites et monuments, consacrée au patrimoine historique et naturel, le billet dénonce « plusieurs aménagements brutaux » entrepris « aux abords des alignements de menhirs de Carnac, dénaturant ce site mondialement connu ». Parmi eux, la construction d’un magasin de bricolage, réalisée après la délivrance par la mairie de Carnac en août 2022 d’un permis de construire à la société Au marché des Druides.

Le bâtiment est en train d’être achevé. Les menhirs, eux, ont disparu. Pourtant, depuis 2015, le lieu est inscrit à l’Atlas des patrimoines, une plate-forme de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) qui référence l’ensemble des sites archéologiques du pays. Signe s’il en est de la valeur archéologique et historique des lieux.

Comme l’explique Christian Obeltz au Monde, ces petits menhirs, « de 80 centimètres à un mètre de haut », dataient, « à en juger par les datations carbone 14 obtenues en 2010 sur le site voisin de la zone artisanale de Montauban, de 5480 à 5320 avant notre ère, soit la datation la plus haute obtenue pour un menhir dans l’ouest de l’Hexagone ». Et il se désole de la disparition d’un tel site. « Il ne faut pas minimiser les petits sites. Ce n’est pas une question de taille. Ce site aurait été riche en enseignements si des fouilles approfondies avaient pu être faites », avance Christian Obeltz, qui assure qu’une des files de stèles était « exactement dans sa place d’origine depuis 7 000 ans ». Le chemin de Montauban figurait par ailleurs sur la liste indicative des mégalithes de la commune, en vue de l’inscrire au patrimoine mondial de l’Unesco.

La mairie se défend de tout manquement

Une première demande de permis de construire émanant de la même société avait d’ailleurs été retoquée par la mairie en 2015. A l’époque, l’Institut national de recherches archéologiques préventives avait réalisé un diagnostic archéologique sur demande de la préfecture du Morbihan et de la DRAC et faisait état dans un rapport de la probable découverte « d’un alignement mégalithique inédit » composé de trente-huit monolithes a minima. « Seules des observations complémentaires sur les monolithes, voire une fouille, permettraient de certifier l’origine néolithique de cet ensemble », peut-on lire dans le rapport publié en avril 2015.

Comment expliquer qu’une autorisation de construire ait été délivrée quelques années plus tard, alors même que le maire de Carnac, Olivier Lepick, est par ailleurs le président de l’association Paysages de Mégalithes, porteur du projet de labellisation Unesco ?

La mairie, qui se désole d’une telle destruction, avance qu’un examen rigoureux du dossier a été réalisé avant la délivrance du permis de construire. Cette deuxième demande répondait à toutes les exigences, assure la municipalité. La ville de Carnac renvoie ainsi la balle à la DRAC qui, selon elle, avait signalé le site en zone de prescription dans l’ancien plan d’occupation des sols, mais plus dans le nouveau plan local d’urbanisme (PLU).

Dans la soirée, la DRAC a indiqué par voie de communiqué que le PLU « prévoit que la zone du projet est une zone d’activité » et que le terrain « n’est pas répertorié parmi les zones de présomption archéologique ». Elle précise que, « du fait encore incertain et dans tous les cas non majeur des vestiges tels que révélés par le diagnostic, l’atteinte à un site ayant une valeur archéologique n’est pas établie ».

Le gérant du futur Mr. Bricolage, quant à lui, n’a pas souhaité répondre au Monde. « Je ne connais pas les menhirs, des murets, il en existe partout », s’est-il toutefois défendu dans les colonnes de Ouest-France. Pour le néophyte, cet alignement ressemblait en effet à un simple muret. Il assure que s’il avait été au fait de la valeur archéologique et historique des menhirs, il aurait « évidemment » fait différemment.

A la suite à cette destruction, une association de défense du patrimoine, Koun Breizh (« Mémoire bretonne », en breton), a annoncé avoir déposé une plainte contre X, plainte qui n’a pu être confirmée mercredi soir auprès du parquet.

« L’objectif de cette plainte n’est pas de mettre en cause tel ou tel élu mais d’éclairer le processus de décision qui a abouti à ces destructions malgré toutes les formes de protection prévues par la loi », a expliqué à l’Agence France-Presse le président de l’association, Yvon Ollivier. « Il s’agit de faire en sorte que de tels faits ne se reproduisent plus », a-t-il ajouté.