Entretien avec le journaliste mode Marc Beaugé, chroniqueur régulier à Quotidien sur TMC.
Que pensez-vous de cette polémique autour de la tenue vestimentaire des députés ?
D’un point de vue citoyen, elle me consterne évidemment. La France est en crise, l’Europe en guerre, le monde en feu, ces députés devraient avoir bien d’autres sujets à traiter. D’un point de vue d’observateur attentif à la question vestimentaire, en revanche, évidemment, ce débat m’interpelle, car il confirme un glissement récent. Jusqu’à il y a quelques années, le vêtement n’était pas un sujet pour les politiques, qui s’habillaient donc en sincérité, spontanément. Aujourd’hui, le vêtement est devenu un outil de communication, un de plus.
Ce débat sert, selon vous, une logique de communication ?
De buzz, même. Un jour, Eric Ciotti dit qu’il faut imposer le port de la cravate, le lendemain les femmes de LFI mettent une cravate en réponse, le surlendemain le camp de Ciotti raille cette mise en scène… Résultat, trois jours de débat stérile autour de la cravate. On est dans de la politique spectacle. Y croient-ils vraiment ? Ciotti pense-t-il vraiment qu’il faut une cravate pour être crédible dans l’Hémicycle ? Et la Françe Insoumise a-t-elle vraiment besoin de s’abaisser à son niveau ? Les Français s’en foutent, et ils ont raison. Ils ont compris qu’il y avait plein de députés incompétents en cravate, et sans doute des députés compétents sans cravate. Ce qui compte c’est que les députés bossent, et, sur la question du vêtement, qu’ils s’habillent en sincérité. Qu’ils arrêtent, en somme de faire, encore une fois, de la com…
La cravate est-elle de droite ?
Je préfère dire que la cravate, dans son acception contemporaine, est bourgeoise. C’est matériel. On ne peut pas effectuer un travail manuel en cravate, elle se coince, elle traîne partout. Par opposition aux travailleurs en col bleu, la cravate appartient donc aux cols blancs, aux dirigeants. C’est le problème de la thèse de la proposition de Ciotti. Il pense que les députés doivent portent la cravate pour être exemplaire. Mais exemplaire de quoi? De la classe bourgeoise et donc seulement d’une partie de la France. L’Assemblée nationale ne peut pas être que bourgeoise. Elle doit être diverse, elle ne l’est pas assez. Que de députés issus de la classe populaire et ouvrière siègent à l’Assemblée Nationale, cela me paraît fondamental. Qu’ils souhaitent y siéger dans un habit qui leur ressemble, je trouve ça sain et normal.
Du coup, l’obligation de la cravate à l’Assemblée ne s’impose pas selon vous…
Non. Elle a longtemps été en place, et elle a disparu de façon naturelle à partir de 2017, sous l’impulsion de la France Insoumise et personne n’y trouverait à redire. Il fallut que Ciotti se cherche un sujet pour exister pendant l’été pour qu’un débat naisse… Mais sa proposition pose plein de questions, qu’il ne s’est sans doute même pas posé. S’il faut une cravate pour être digne de respect à l’Assemblée Nationale, cela veut dire quoi pour les femmes ? Sont-elles vouées à ne jamais être dignes de respect ? Et puis les présidents qui retirent la cravate lors des G7, ils ne sont pas crédibles aux yeux de Ciotti ? Et les dirigeants africains qui viennent en habit traditionnel à l’Elysée, ce n’est pas respectueux ? On peut même aller plus loin. La cravate ok, mais pourquoi on n’imposerait pas le nœud papillon, puisque c’est encore plus formel ? On peut également regarder si les chaussures sont bien cirées, si la veste est de bonne qualité, si le pantalon est bien repassé… On peut aller loin comme ça. Je me souviens qu’en 2014 François Hollande était moqué parce qu’il portait la cravate mais qu’elle était toujours de travers. La droite s’en donnait à cœur joie sur le sujet. Comme quoi, cravate ou pas, on trouve toujours quelque chose quand on veut attaquer quelqu’un et générer une polémique…
Finalement, que représente le vêtement en politique ?
Traditionnellement, la majorité de la classe politique n’en fait pas un sujet. Elle tente simplement d’éviter qu’on puisse lui reprocher d’être trop mal habillée, ou, pire, trop bien habillée. Elle vise donc à être relativement transparente. À l’opposé de plus en plus de politiques, depuis quelques années, tentent de se faire remarquer par des coups d’éclat vestimentaires. Cela peut avoir un certain sens. Quand François Ruffin se présente en maillot de foot à l’Assemblée nationale pour défendre le bénévolat dans les clubs, il image son propos. Pourquoi pas ? Quand on nous agite une énième fois la cravate comme étendard de la respectabilité, en revanche, le sens me paraît très limité.